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modernes, de tout élément autre que « la vertu et l’effort personnels, » le sentiment plus humain, plus efficace et plus vrai qui pénètre aujourd’hui jusque dans les convictions religieuses, en Espagne comme ailleurs, tous ces faits donnent l’espoir que, mettant fin à sa « déviation séculaire, » l’Espagne reviendra dans les grandes voies au bout desquelles l’histoire entière montre la vraie prospérité.

Tôt ou tard se rouvrira l’avenir pour cette noble nation, qui a toujours en elle des réserves de résistance et d’héroïsme. L’Italie, elle aussi, eut ses siècles de décadence profonde ; elle a aujourd’hui son risorgimento. L’Espagne n’a pas cessé de fournir des écrivains et surtout des peintres de talent ; elle nous donne en ce moment des études de sociologie et de droit très dignes d’attention. Nul ne peut se figurer combien de richesses dorment enfouies au sein des nations. Ce peuple d’une originalité si saisissante joint toujours à sa fierté virile et à son courage tenace l’amour de la patrie comme l’entend Camoëns, nâo movido de premio vil, mas alto e quasi eterno, « non pas mû par un prix vil, mais élevé et comme éternel. » Il suffit qu’un souffle philosophique, scientifique et moral vienne tout ranimer chez cette race héroïque, aventureuse et dévote, qui dut peut-être sa ruine morale aux causes mêmes de sa puissance politique. A notre époque, les changemens qui eussent demandé des siècles peuvent s’accomplir en un demi-siècle. Le mouvement vertigineux des sciences et des découvertes industrielles transforme de plus en plus rapidement les conditions de la vie sociale et du travail, ainsi que les rapports mutuels des diverses classes. Nul peuple ne peut plus se flatter d’une éternelle prééminence ; nul ne peut non plus être condamné à une déchéance irrémédiable, chacun profitant, par la solidarité universelle, des découvertes et expériences d’autrui. C’est une raison pour ne pas remettre au laissez-faire le soin de ses destinées : les peuples comme les individus ne doivent « rien abandonner au hasard de ce qui peut lui être enlevé par prudence. »


ALFRED FOUILLEE.