folie ce serait de préférer quelques années de basses jouissances à une éternité de bonheur ! Ces richesses, en effet, que nous lui préférerions, la mort viendra demain nous les arracher. Ce serait donc vraiment mourir que de vivre ici pour elles, de même que ce sera vivre que d’aller mourir là-bas pour Dieu. Le jour est donc venu où les preux vont, pour leur gloire et leur salut, se séparer des lâches. Honni celui qui hésiterait à se ranger parmi les premiers ! »
La plupart de ces idées sont fort bien appropriées à une poésie toute faite de sentimens et d’images, et nous avons déjà vu le parti qu’en avait tiré le talent bizarre, mais vigoureux, de Marcabrun. Il faut rendre cette justice aux troubadours que, s’ils n’ont pas éliminé de parti pris la subtilité ou le sophisme inhérens à quelques-unes d’entre elles, ils les ont du moins dépouillées de ce qu’elles avaient, dans les sermons, de trop scolastique, et qu’ils ont su, en les rendant accessibles à tous, leur donner parfois une expression saisissante. Le plus grand reproche qu’on puisse leur faire, c’est de ne pas les analyser assez : comme s’ils voulaient amplifier également toutes les parties d’une matière imposée, ils aiment mieux les effleurer toutes, quitte à passer de l’une à l’autre avec une hâtive brusquerie, que d’en sacrifier aucune. Dans les sirventés de la seconde époque, ceux de Folquet de Romans par exemple, elles sont jetées pêle-mêle, empilées au hasard, et, semble-t-il, uniquement déterminées dans leur succession par les exigences de la rime. On dirait des pièces de rapport assemblées sans intelligence et sans soin.
Malgré ces défauts, il n’est peut-être aucune de ces œuvres qui n’ait son intérêt. Je ne parle point de celles où l’exhortation pieuse n’est qu’un prétexte, une entrée en matière qui amène doucement l’auteur à ses thèmes favoris, Bertran de Born à l’invective, Peire Vidal aux madrigaux et aux jeux de rime : il en est d’autres, et elles sont nombreuses, où le poète s’écarte de l’antique schéma ecclésiastique, pour exprimer avec force ses idées et celles de ses contemporains. Il est, par exemple, un argument à peine indiqué par les prédicateurs, très souvent développé par les troubadours, et qui peint de façon frappante un état d’esprit qui a dû être fréquent dans la haute classe féodale : la croisade, disent-ils, offre une occasion unique de faire son salut sans renoncer aux vertus mondaines, d’associer la « vaillance » et la foi, la courtoisie et l’ascétisme. « Voyez ! dit avec quelque candeur