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par l’assentiment tacite du pape. Leurs sujets de Provence, jusque-là contenus par les légats et les clercs, leur firent un accueil enthousiaste : ils furent pour ainsi dire portés en triomphe de Marseille à Avignon, d’Avignon à Beaucaire. C’est alors qu’élevèrent la voix deux poètes tarasconnais, Tomier et Palazi, qui furent les éloquens interprètes du loyalisme de la province[1]. Ils protestent avec énergie contre cette prétendue paix, qui, fondée sur l’iniquité, ne peut engendrer que la guerre ; ils invitent les tièdes à « se mirer dans Toulouse et Foix, » à considérer le sort des deux comtes, trahis par ceux à qui ils s’étaient confiés ; ils flétrissent les lâches et leur prédisent le sort de Uc des Baux, dépossédé des terres qu’il n’avait pas craint d’usurper sur un banni ; ils glorifient la noble cité qui venait de donner l’exemple de la foi dans la justice, du dévouement à ses seigneurs légitimes.

« Vive la noble comtesse, Avignon, que Dieu protège ! Ne s’est-elle pas mieux comportée que ces parens à la façon des Alguais[2] ? Nul ne relève la tête, ni ne prend le bon chemin : l’un tire vers le Portugal, l’autre vers la Lombardie.

« Que d’autres soient vils et lâches, Avignon se dresse au milieu de la Provence ; il semble que Dieu même la protège, car en elle se voient sens et largesse. Ah ! nation noble et courtoise, ton énergie est l’honneur des Provençaux, en tout lieu, en tout temps. »

Tant d’enthousiasme et de foi allaient être récompensés : quelques mois après, la garnison française de Beaucaire, malgré une défense désespérée, malgré la présence de Simon de Montfort, accouru à son secours, devait capituler ; sans doute le succès n’était pas complet, puisque le jeune Raimon, seul chef de la petite armée provençale, avait dû laisser la liberté à ses adversaires ; mais c’était le premier que, depuis sept ans, les armes méridionales eussent remporté : elles avaient enfin réussi à faire reculer le terrible lion de Montfort. Cette victoire est célébrée dans un sirventés tout débordant de joie et de confiance ; un groupe de manuscrits l’attribuent, certainement à tort, à Bertran de Born, mais l’erreur est excusable, car il est digne en tous points du plus illustre des troubadours guerriers[3]. Comme Tomier et Palazi,

  1. Si col flacs molins torneja (dans Raynouard, Choix, t. V, p. 275).
  2. Les Alguais étaient une famille de routiers et de brigands très redoutés à cette époque.
  3. A tornar m’ er enquer al primier us (dans Mann, Gedichte, n° 313).