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coalition venait de réunir contre la France la plupart des barons de la Marche, du Limousin, du Poitou et même du Rouergue ; les rois d’Aragon et de Navarre étaient gagnés ; le roi d’Angleterre avait promis de jeter sur les côtes, au moment opportun, une forte armée. Le comte de Toulouse, bientôt suivi du comte de Foix, adhéra avec enthousiasme à la ligue. Les troubadours, ses interprètes ordinaires, essayèrent de déterminer en faveur de la guerre un mouvement d’opinion, et d’animer les coalisés par le sentiment de leur popularité. Peire del Vilar[1] se réjouit en songeant que la griffe du léopard va faucher ces fleurs de lis, « qui se répandront partout, si le chaud ou le froid n’y font obstacle ; » mais il s’étonne qu’une si noble entreprise ne trouve pas de plus ardens auxiliaires. Bernard de Rovenac[2] gourmande âprement les coalisés sur leur inertie. Il ne voit, parmi les grands qui l’entourent, que des timides « riches d’argent, mais pauvres de cœur. »

« Le roi anglais diminue encore, par trop craindre, son peu de valeur : il est si mou qu’il ne lui plaît pas de défendre ses sujets. Pendant qu’il dort, le roi de France lui enlève sans résistance Tours et Angers, Normandie et Bretagne.

« Le roi d’Aragon mérite son nom de Jayme (que le poète rattache plaisamment à jazer, être couché), car il ne sait que rester étendu. Occupe ses terres qui veut : il est de si douces et agréables façons qu’il n’élèvera plus la moindre protestation.

« Jusqu’à ce qu’il venge son père (Pierre II, tué à Muret), il sera déshonoré. Qu’il ne croie pas que je dise rien à son éloge, jusqu’à ce qu’il allume le feu de la guerre. Oui, s’il veut monter en prix, qu’il entame les domaines de ce roi de France qui usurpe ses fiefs et en saisit son fils Alphonse.

« Comte de Toulouse, vous et le roi votre allié, vous êtes déshonorés si nous ne vous voyons bientôt déployer tentes et pavillons, abattre murailles et tours. »

Les troubadours avaient raison de craindre. C’est la lenteur, l’indécision des coalisés qui firent le succès des armes françaises : Louis IX frappa à Taillebourg un coup décisif qui déconcerta les Anglais ; les Aragonais, sentant la partie perdue, ne bougèrent pas ; le comte de la Marche fit sa soumission, bientôt suivi par le comte de Foix ; Rai mon, resté à peu près seul, en fut réduit à implorer humblement son pardon.

  1. Sendatz vermelhs, endis e ros (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 181).
  2. Ja ne vuelh de ni esmenda (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 203).