Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jalouse, — elle ne trouvait pas que Louis XIII en valût la peine, — et le moment aurait été mal choisi pour le devenir : elle était grosse, après vingt-trois ans de mariage. Les mêmes gens qui la comblaient d’avanies dans sa disgrâce étaient maintenant à ses pieds, très sincères dans leur respect et leur dévouement pour une princesse qui serait peut-être reine mère, peut-être régente de France. Tout s’effaçait pour elle devant ce coup de théâtre délicieux. La nouveauté de se sentir ménagée et considérée était si grande et si agréable, qu’elle prenait son parti le plus facilement du monde de voir son royal époux soupirer auprès de la vertueuse et maligne Hautefort, dont « les chaînes » passaient pour « dures à porter[1]. » Anne d’Autriche se contentait de sourire des mines transies du Roi, de ses gauches empressemens mêlés d’effarouchemens plus gauches encore. Elle apprenait avec amusement que Mlle de Hautefort se moquait, entre jeunes filles, d’un amoureux qui « n’osait s’approcher d’elle quand il l’entretenait, » et qu’elle disait n’y plus tenir d’ennui à force d’entendre parler « de chiens, d’oiseaux et de chasse. »

Les amies le répétaient, Louis XIII finissait par le savoir, se fâchait contre l’ingrate, et toute la Cour était au noir. — « S’il arrivait quelque brouillerie entre eux, poursuit la Grande Mademoiselle, tous les divertissemens étaient sursis ; et si le Roi venait dans ce temps-là chez la Reine, il ne parlait à personne et personne aussi n’osait lui parler ; il s’asseyait dans un coin, où le plus souvent il bâillait et s’endormait. C’était une mélancolie qui refroidissait tout le monde, et, pendant ce chagrin, il passait la plus grande partie du jour à écrire ce qu’il avait dit à Mme de Hautefort et ce qu’elle lui avait répondu : chose si véritable, qu’après sa mort, l’on a trouvé dans sa cassette de grands procès-verbaux de tous les démêlés qu’il avait eus avec ses maîtresses, à la louange desquelles l’on peut dire, aussi bien qu’à la sienne, qu’il n’en a jamais aimé que de très vertueuses. »

L’importance politique des favorites de Roi échappait à Mademoiselle, comme lui échappait alors tout ce qui était sérieux : « Je n’écoutais de tout ce que l’on me disait, écrit-elle, que ce qui était à la portée de mon âge. » Ne lui demandez pas ce que pensait Richelieu de cette chaste affection ; pourquoi il n’en voulut plus après l’avoir encouragée ; pourquoi il voulut encore moins de

  1. Mémoires de Mme de Motte ville.