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Mlle de Lafayette, la poussa au couvent, et fit ordonner des médecines au Roi toutes les fois qu’il lui soupçonna l’intention d’aller voir son amie à la grille. Si Mademoiselle a su ces choses, « il ne lui en est jamais souvenu. » Demandez-lui encore moins pourquoi Louis XIII, travaillé sans relâche contre Richelieu, et ne l’aimant point, continuait à lui sacrifier ses proches et ses amis ; pourquoi, devant les revers de 1635 et 1636, devant la France envahie et les coureurs ennemis à Pontoise, il était resté fidèle, en définitive et malgré quelques instans de défaillance, au ministre dont la politique lui attirait ces humiliations. Mademoiselle n’a sans doute jamais su ces choses ; elles dépassaient par trop son horizon.

La grossesse de la Reine lui fut une occasion de plus de montrer combien elle restait « innocente, » vivant dans un monde où on l’était si peu. Elle s’en réjouit, sans faire « la moindre réflexion » que son père, Gaston d’Orléans, perdrait à la naissance d’un dauphin son titre d’héritier présomptif de la couronne. Anne d’Autriche fut touchée d’une simplicité de cœur à laquelle son expérience des cours ne l’avait pas accoutumée. Elle répétait à sa nièce pour la consoler au cas où la réflexion lui viendrait : « Vous serez ma belle-fille. » Sa nièce n’entra que trop dans la plaisanterie ; elle lui dut l’une des heures les plus amères de son existence.

L’enfant qui devait être Louis XIV naquit au château de Saint-Germain le 5 septembre 1638. Mademoiselle en fit son joujou. « La naissance de Monseigneur le Dauphin, dit-elle, me donna une occupation nouvelle : je l’allais voir tous les jours et je l’appelais mon petit mari ; le Roi s’en divertissait et trouvait bon tout ce que je faisais. » Elle avait compté sans son parrain le cardinal, plus croquemitaine et plus trouble-fête que jamais, qui découvrit de grands inconvéniens à ces enfantillages : « Le cardinal de Richelieu, poursuit Mademoiselle, qui ne voulait pas que je m’y accoutumasse ni qu’on s’accoutumât à moi, me fit ordonner de retourner à Paris ; la Reine et Mme de Hautefort firent tout leur possible pour me faire demeurer ; elles ne purent l’obtenir, dont j’eus beaucoup de regret. Ce ne furent que pleurs et que cris quand je quittai le Roi et la Reine ; leurs Majestés me témoignèrent beaucoup de sentimens d’amitié, et surtout la Reine, qui me fit connaître une tendresse particulière en cette occasion.

« Après ce déplaisir, il m’en fallut essuyer encore un autre.