Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/615

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Pucelle Priande. Et à la vérité elles leur ressemblaient extrêmement. Tout le monde était sans proférer une parole, en admiration de tant d’objets, qui étonnaient en même temps les yeux et les oreilles : quand tout à coup la déesse sauta de sa niche et, avec une grâce qui ne se peut représenter, commença un bal qui dura quelque temps à l’entour de la fontaine. »

Ici le petit Voiture, qui avait des obligations à son correspondant, le cardinal de La Valette, se représente pleurant son absence et communiquant sa douleur à toute la compagnie. « Et cela eût duré trop longtemps, poursuit-il, si les violons n’eussent vitement sonné une sarabande si gaie, que tout le monde se leva, aussi joyeux que si de rien n’eût été. Et ainsi sautant, dansant, voltigeant, pirouettant, cabriolant, nous arrivâmes au logis, où nous trouvâmes une table qui semblait avoir été servie par les fées. Ceci, Monseigneur, est un endroit de l’aventure qui ne se peut décrire. Et certes, il n’y a point de couleurs ni de figures en la rhétorique qui puissent représenter six potages, qui d’abord se présentèrent à nos yeux… Et entre autres choses, il y eut douze sortes de viandes, et de déguisemens dont personne n’a encore jamais ouï parler et dont on ne sait pas encore le nom… Au sortir de table, le bruit des violons fit monter tout le monde en haut, où l’on trouva une chambre si bien éclairée, qu’il semblait que le jour qui n’était plus dessus la terre s’y fût retiré tout entier. Là, le bal commença, en meilleur ordre et plus beau qu’il n’avait été autour de la fontaine. Et la plus magnifique chose qui y fût, c’est, Monseigneur, que j’y dansai. Mlle de Bourbon jugea qu’à la vérité je dansais mal, mais que je tirais bien des armes, pour ce qu’à la fin de toutes les cadences il semblait que je me misse en garde. » La fête se termina par un feu d’artifice, après lequel « on reprit le chemin de Paris à la lueur de vingt flambeaux » et en chantant des ponts-neufs. Au village de la Villette on rattrapa les violons, et une enragée proposa de les faire jouer. Il était entre deux et trois heures du matin et Voiture n’en pouvait plus. Il bénit le ciel en apprenant que les violons avaient laissé leurs instrumens à la Barre. — « Enfin nous arrivâmes à Paris… Nous vîmes qu’une grande obscurité couvrait toute la ville : et, au lieu que nous l’avions laissée, il n’y avait que sept heures, pleine de bruit, d’hommes, de chevaux et de carrosses, nous trouvâmes un grand silence et une effroyable solitude partout, et les rues tellement dépeuplées, que nous n’y rencontrâmes pas un homme, et vîmes