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vibrations de la lumière, mais aussi par les mouvemens et les palpitations des corps. Seulement, combien s’arrêtent en chemin ! Combien se contentent d’ébauches qu’ils abandonnent au moment où commence la difficulté. Rien de plus insipide en art que des formes mornes et figées. Cependant que dire de ces pochades désordonnées, multipliées par l’impuissance !

C’est qu’il faut être un grand artiste pour finir une œuvre en lui conservant la souplesse et la variété de la nature. Le grand danger, c’est de la refroidir en ramenant toutes ses parties à l’uniformité d’une manière qui n’est plus souvent que routine.

La nature ne crée jamais deux choses pareilles, tandis que la manière humaine a la tendance défaire passer tout dans un moule uniforme. Le génie lui-même n’est pas toujours exempt de cette infirmité contre laquelle il doit réagir ; car, malgré la lumineuse étendue de sa vision, il tomberait facilement dans ce défaut que les ateliers appellent familièrement le chic et qui, appliquant aux choses diverses des indications pareilles, n’est que le vice de la personnalité ! Ce vice insipide ne peut s’éviter que par une étude assidue des types que, même en les simplifiant, il faut toujours accentuer dans le sens qui constitue leur individualité et leur originalité.

J’ai dit que, de nos jours, on s’intéressait à cette recherche de la vie par la variété des mouvemens et des formes, mais qu’on s’arrêtait trop souvent à l’ébauche et à la pochade. Ce qui fait le charme et la vie des bonnes pochades, c’est que le peintre, dans sa précipitation, poussé par une inspiration rapide, y a jeté éperdument, et comme au hasard, les traits et les tons essentiels de sa vision. Ce sont donc ces traits et ces tons essentiels qui doivent tout d’abord ressortir de l’œuvre finie. Arriver à ce résultat qui paraît si simple, est tout ce qu’il y a de plus difficile. Il n’est réalisé que par les forts. Savoir finir, c’est faire des chefs-d’œuvre. La pochade promet tout ; elle ne réalise rien. C’est le spectateur qui finit, en esprit, le tableau. Il est vrai qu’il est flatté de ce qu’on lui laisse ce soin, ce qui le dispose en faveur des faiseurs d’esquisses. Les matins en profitent. Les pochades vivent en partie de hasards heureux, si l’on peut appeler hasards des réussites dues peut-être à une inspiration dont les moyens sont inconsciens. Le hasard est varié, mais il est aveugle. On ne crée pas une œuvre véritable sans mettre de l’ordre dans sa création. Pour être durable, elle ne doit pas être improvisée.