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qu’il s’étende et nous envahisse ? La réponse que l’on peut faire à cette question capitale n’est pas très rassurante. Les savans les plus compétens en la matière ne nous bercent d’aucun espoir. Les membres de la mission française déclarent que la maladie subsistera à Oporto pendant des mois, peut-être des années. « Il est presque impossible, ajoutent-ils, de préserver les autres villes européennes de la contamination. »

L’Europe se trouverait donc ramenée à l’état où elle était, il y a deux siècles, avant que le fléau eût abandonné définitivement ses diverses contrées. On sait, en effet, que la peste s’est retirée des pays Scandinaves, de 1654 à 1657 ; de l’Angleterre en 1665, des Pays-Bas en 1669, de l’Espagne en 1681. Et voici que, de nouveau, elle y prendrait pied.

On ajoute qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer. On nous promet que, si nous observons les règles de l’hygiène publique et individuelle, si nous nous gardons de la misère, de l’encombrement et des causes de débilitation, la maladie, en quelque sorte domestiquée, n’exercera pas de plus grands ravages que la fièvre typhoïde et les autres infections endémiques. Sa diffusion sera entravée de toutes parts. Le développement sera empoché par cette raison que les manifestations de la peste seront désormais diagnostiquées, dès le début, d’une manière infaillible et que les mesures d’isolement et de désinfection pratiquées aussitôt, auront toute leur efficacité.

On nous dit encore que nous pourrons nous préserver de cette peste, installée à l’état chronique, comme nous nous défendons de la variole. Nous aurons la ressource de l’inoculation préventive par le vaccin de Haffkine ou de l’immunisation par le sérum antipesteux de Yersin, Calmette et Borrel, ou par le sérum antitoxique de Lustig et Galéotti. La peste n’aura plus alors qu’une virulence émoussée. Le bacille coccique, qui a donné naissance à la maladie, ne présentera plus l’activité exaltée que lui confèrent les passages ininterrompus à travers plusieurs organismes humains. L’effrayante mortalité, qui jetait l’épouvante dans les contrées atteintes ne sera plus qu’un souvenir.

Une panique n’aurait plus de prétexte. La terreur était bien justifiée, au contraire, au temps où le fléau, abandonné à lui-même, décimait les populations. Ce n’est pas assez de dire qu’il les décimait ; il faisait périr, non le dixième des habitans, mais le quart, la moitié, quelquefois les deux tiers. La peste noire de