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à M. le Président de la République pour lui demander la grâce de Dreyfus, et l’Ordre général adressé le lendemain à l’armée. L’un et l’autre document portent la signature de M. le ministre de la Guerre ; l’un et l’autre sont animés du même esprit. Dans le second, l’accent personnel est plus sensible, ce qui est naturel, puisque, cette fois, il s’agissait d’un acte tout militaire, accompli par M. le général de Galliffet dans l’exercice de ses fonctions. D’ailleurs, ici et là, l’inspiration est identique. On lit dans le Rapport : « Le jugement, — il s’agit de l’arrêt de Rennes, — est devenu définitif et, dès lors, il participe de l’autorité même de la loi devant laquelle chacun doit s’incliner. La plus haute fonction du gouvernement est de faire respecter, sans distinction et sans arrière-pensée, les décisions de la justice. » On lit dans l’Ordre général à l’armée : « Les juges militaires, entourés de notre respect, se sont prononcés en toute indépendance. Nous nous sommes, sans arrière-pensée aucune, inclinés devant leur arrêt. » Où est la différence entre les deux textes ? Peut-être le second sonne-t-il comme un solo de clairon, tandis que, dans le premier, on croit entendre un orchestre composite et, par conséquent, un peu plus assourdi ; mais c’est le même air. Le Rapport à M. le Président de la République dit encore : « Un intérêt politique supérieur, la nécessité de ressaisir toutes leurs forces, ont toujours commandé aux gouvernemens, après les crises difficiles, et à l’égard de certains ordres de faits, des mesures de clémence ou d’oubli. Le gouvernement répondrait mal au vœu du pays, avide de pacification, si, par les actes qu’il lui appartient, soit d’accomplir de sa propre initiative, soit de proposer au Parlement, il ne s’efforçait pas d’effacer toutes les traces d’un douloureux conflit. » Rien de plus clair : le gouvernement est d’avis qu’il faut faire l’oubli, il affirme que le pays est avide de pacification. Et c’est ce que M. le ministre de la Guerre traduit plus nettement encore dans son langage à l’armée, lorsqu’il dit : « Il ne saurait plus être question de représailles, quelles qu’elles soient. Je vous demande, et, s’il était nécessaire, je vous ordonnerais d’oublier ce passé pour ne songer qu’à l’avenir. » M. le général de Galliffet néglige les circonlocutions ; il va droit au fait ; il emploie, pour être mieux compris, le langage du jour. Lorsqu’il se sert du mot de « représailles, » tout le monde entend ce qu’il veut dire, bien que le mot puisse être critiqué dans son acception purement grammaticale. Et il en est de même lorsqu’il dit. « L’incident est clos. » L’incident ! Le Rapport à M. le Président de la République avait appelé cela une « crise difficile. » Le mot d’« incident » a paru mesquin ; mais il est catégorique, et sans doute il a été