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choisi volontairement. Dans l’affaire qui a si fort agité le pays, et à laquelle le monde entier a bien voulu accorder un intérêt où s’est mêlé, — nous voulons le croire, — tant de sympathie pour nous, l’armée ne doit voir qu’un incident, et pour elle cet incident doit être clos. Tout cela est correct, et encore plus sensé. « Avec vous tous, mes camarades, a conclu M. le général de Galliffet, je crie de grand cœur : Vive l’armée I celle qui n’appartient à aucun parti, mais seulement à la France. » C’est la seule armée que nous connaissions. Il n’y en a pas d’autre depuis bien longtemps. Le sentiment du devoir envers la patrie a toujours tenu notre armée en dehors et au-dessus de toutes les suggestions coupables. Elle les a dédaignées. Son idéal était ailleurs.

L’opinion a généralement approuvé l’initiative prise par le gouvernement. Mais quelles en seront les suites ? La grâce de Dreyfus a créé une situation nouvelle, parce qu’elle a mis fin à un certain ordre de choses, ou à un désordre, si l’on préfère, qui durait chez nous depuis plusieurs années. Qu’elle soit tout à fait finie ou non, il est sûr que la crise se modifiera, et que le caractère ne saurait désormais en rester le même. Il est sûr aussi que le ministère actuel a été un produit de cette crise, et qu’il correspondait à des circonstances en partie disparues. Nous savons bien qu’il y a le grand complot, et nous allons y revenir ; mais le grand complot ne suffit pas, à lui seul, à expliquer et dès lors à justifier un ministère comme celui-ci. On le sent bien, et c’est ce qui explique la brusque évolution qui s’est faite dans un certain nombre d’esprits. Il fallait s’y attendre : l’Ordre général adressé à l’armée par M. le ministre de la Guerre, quoique excellent, soulève déjà dans certains milieux de vives critiques. On affecte de le distinguer du Rapport à M. le Président de la République. Nous avons vu cependant qu’entre le Rapport et l’Ordre général, il y a une parfaite identité d’inspiration. Mais cela n’embarrasse pas les meneurs de la campagne qui se prépare, ou plutôt qui est déjà entamée. La présence de M. le général de Galliffet dans le gouvernement leur a toujours déplu. Ils se sont tus pendant quelques semaines, parce qu’il le fallait bien. Le ministère était fait, et, suivant une vieille formule, ils le prenaient en bloc. Mais, aujourd’hui, tout est changé. Les ménagemens qu’on a dû observer jusqu’à présent paraissent désormais inutiles, et M. le général de Galliffet est dénoncé comme l’homme-obstacle qu’il s’agit de supprimer. On l’accuse de s’être trop incliné devant l’arrêt du conseil de guerre de Rennes. On ne lui pardonne pas d’avoir dit que les juges s’étaient prononcés en toute indépendance. Il n’est pas