Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à son cri de : Vive l’armée ! pourtant si bien à sa place dans sa bouche, et qui l’est d’ailleurs dans celle de tout le monde, qui ne soit l’objet de commentaires malveillans et irrités. Un journal radical-socialiste a eu la naïveté d’écrire que ce cri était devenu le signe de ralliement de ses adversaires, et, dès lors, il ne l’entend pas sans quelque malaise. Mais, surtout, radicaux, socialistes et anarchistes ne peuvent pas se consoler de se voir enlever les « représailles » sur lesquelles ils avaient compté. Des victimes expiatoires leur sont indispensables, et, si on les leur arrache, ils considèrent cela comme un passe-droit qu’on leur fait. Il n’est pas jusqu’à un discours prononcé par M. le général de Galliffet sur une tombe qui n’ait écorché les oreilles de quelques-uns. Il y était question d’un monde meilleur, et, bien qu’ils ne cessent de répéter que celui-ci est détestable, ils ne veulent pas entendre parler d’un autre qui le serait moins. Mais tout cela n’est que prétextes : à défaut de ceux qu’on invoque, on en inventerait d’autres, beaucoup de ceux qui soutenaient hier le ministère, et qui n’osaient, pas encore établir de distinction entre ses membres, parce qu’ils craignaient par-là de l’ébranler tout entier, n’ont plus maintenant cette inquiétude. Débarrassés, comme nous le sommes nous-mêmes, de Dreyfus et de son affaire, ils reviennent à des préoccupations purement politiques. Entre M. Millerand et M. de Galliffet, leur choix est fait. Et ils ont tout de suite entamé la guerre. Dans un temps donné, et probablement assez court, le ministère ne pourra éviter de se prononcer dans un sens ou dans l’autre, qu’à la condition de s’en aller intégralement. Quel parti prendra-t-il ?

Revenons au grand complot. Il ne semble pas du tout que sa découverte et sa poursuite puissent, dans notre laboratoire politique, devenir un équivalent de l’affaire Dreyfus et soient susceptibles de servir au même usage. Dès le premier jour, l’intérêt en a été moindre, et tout ce qui s’est passé depuis ne l’a pas sensiblement accru. Peut-être les esprits sont-ils un peu fatigués et les imaginations épuisées. La seule annonce d’un complot, qui aurait autrefois répandu partout une fièvre intense, a laissé le pays parfaitement calme, et il n’y a guère que le monde politique qui s’en soit ému, ou qui ait eu l’air de le faire. C’est ici que le mot d’incident serait très à sa place. L’aventure même du fort Chabrol n’a pas réussi à secouer la torpeur générale. On a éprouvé pendant vingt-quatre heures un léger frisson à la pensée qu’un massacre pouvait avoir lieu en (plein Paris ; mais bientôt on s’est rassuré. Depuis, le fort Chabrol s’est rendu, il a capitulé, et tout s’est terminé pacifiquement. M. Jules Guérin attendait qu’on