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des gardes du corps qui méconnaissaient la volonté du roi, bien qu’ils prétendissent défendre sa cause. « Tout est en convulsion, » écrivait un témoin.

Plein de rage, l’ultra-royalisme exigeait à haute voix d’implacables vengeances contre les promoteurs du système politique suivi depuis cinq ans, auquel était due la dissolution de la Chambre introuvable et qu’il rendait responsable de l’assassinat du Duc de Berry. Les pêcheurs en eau trouble qui siégeaient parmi les libéraux s’apprêtaient au combat. Ils cherchaient à tirer parti de la confusion générale pour le triomphe de leurs idées et favorisaient les complots qui allaient bientôt éclater. La loi électorale encore en projet, léguée par Decazes à ses successeurs, et dans laquelle ils se préparaient à introduire le double vote, coup redoutable porté, par l’aristocratie à la classe moyenne, cette loi était le terrain où devaient se compter les factions aux prises.

Les nouveaux ministres étaient bafoués, encore qu’ils fussent au moment de faire voter les lois d’exception proposées par le gouvernement aussitôt après le crime de Louvel. À l’instigation de Chateaubriand et de Mole, s’organisait une opposition formidable, qui ne tendait à rien moins qu’à faire de Richelieu et de ses collègues les dociles instrumens de l’ultra-royalisme, ou qu’à les renverser pour livrer le pouvoir aux hommes de ce parti qui réclamaient avec arrogance les portefeuilles et les places.

De cet état des esprits, quelques lettres extraites des dossiers du Cabinet noir donneront une idée plus impressionnante et plus vraie que les récits des historiens.

« Voilà donc encore le sang d’un Bourbon versé par un Français, écrivait-on de Tonnerre au marquis de Vergennes, et Napoléon n’a pas trouvé d’assassin ! Quelle honte éternelle pour notre patrie !… quelle leçon pour notre roi, pour nos ministres ! En profiteront-ils, et abandonneront-ils enfin cet affreux système d’indulgence pour tout ce qu’il y a de coquins ? Ils ont si bien dénigré les pauvres princes que ce malheureux événement ne fait aucun effet sur le peuple, qui ne s’en occupe pas davantage que s’il avait appris la mort du Grand Turc ! »

Cette lettre n’est pas isolée. C’est par centaines qu’on en compte de pareilles à celle-là, ou à celle-ci que recevait, à la préfecture de Lille, Mme de Rémusat :

« Vous dire, ma chère, où nous marchons est impossible. Il y a