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court billet de la duchesse de Duras : « Malgré nos vieilles querelles, j’espère que vous croyez qu’il y a hors de la politique des sentimens que rien n’efface. J’ai besoin de vous le rappeler aujourd’hui et de vous parler de ma reconnaissance pour tout ce que vous m’avez montré de grâce, de bonté, d’obligeance, dans l’occasion la plus importante de ma vie. » D’autres adieux pareils venaient le trouver au seuil de sa retraite. Il recevait ainsi ceux de l’abbé de Montesquiou, de Royer-Collard, de Guizot, de Lally-Tollendal, de Camille Jordan, de d’Argout et de beaucoup d’autres, amis ou adversaires, qui gardaient un souvenir reconnaissant de son inépuisable obligeance.

Quant au roi, tandis que celui qu’il appelait « son fils et son ami » s’acheminait à petites journées vers la Gironde, où il devait se reposer durant quelques semaines avant de se rendre à Londres, il était douloureusement hanté par son souvenir. Decazes avait quitté Paris dans la soirée du 26 février. Le lendemain, dès le matin, le roi prenait la plume et commençait pour lui une sorte de lettre-journal qu’il devait continuer jusqu’au jour où, le sachant arrivé au terme de son voyage, il pourrait la lui expédier.

La correspondance nouvelle de Louis XVIII avec son favori, qui s’ouvre à cette date, diffère, au moins dans la forme, de celle d’autrefois. Le tutoiement est supprimé, les lettres sont signées, soigneusement datées : « Mon cher duc, » remplace « Mon cher fils. » La cause de ce changement, c’est que le roi ne peut plus, comme naguère, les faire porter et remettre aux mains de son ami éloigné de lui. Pour les lui faire parvenir, il est obligé de recourir à la poste. Mais se présente une occasion et vienne un porteur sûr, et l’on verra renaître les anciennes formules, si paternelles et si tendres. Ces modifications, au surplus, ne sont que dans les apparences ; la réalité reste la même. Qu’on en juge.

« À Paris, ce dimanche, vingt-sept février. — Vous m’avez prié, mon cher duc, de ne vous écrire qu’après avoir reçu de vos nouvelles. Je me conformerai à vos désirs en ne faisant partir cette lettre qu’en réponse à cette première que j’attends avec tant d’impatience, et qui malheureusement se fera attendre quelque temps. Mais ici, dans ce cabinet, je suis seul maître de mes actions ; il faut que je me soulage.

« Ma santé est bonne ; mon doigt est à peu près guéri ; mon sommeil est toujours imperturbable. Avec cela, bien des gens me