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secours. Je voudrais que le Roi manifestât sa volonté et qu’il fût connu que ce qui se fera en est le résultat. J’avais proposé au Roi pendant mon ministère, et je l’ai fait en détail au duc de Richelieu, d’offrir au roi d’Espagne le régiment suisse qui est à Toulon, le régiment étranger qui est en Corse, d’envoyer une station devant Cadix ou Malaga ou tout autre point, de lui proposer d’occuper Pampelune et les autres places de la frontière pour lesquelles il peut avoir des inquiétudes. »

Ces conseils ne pouvaient déplaire à Louis XVIII. Quoique entre la cour d’Espagne et celle de France, le pacte de famille eût cessé d’exister, il n’oubliait pas qu’il était Bourbon et que le monarque espagnol l’était comme lui. En conséquence, il se croyait tenu de lui porter secours contre des insurgés victorieux. En revanche, observateur scrupuleux des règles du régime parlementaire, il ne croyait pas qu’ayant lui-même des ministres responsables, il fût libre de suivre des conseils qui ne venaient pas d’eux, ces conseils eussent-ils le mérite de lui être envoyés par son conseiller d’hier, toujours si cher à son cœur, si prudent, si sage, et de qui, deux mois avant, il les eût reçus avec enthousiasme.

Telle était sa loyauté gouvernementale qu’à les écouter et à les suivre, il se fût bientôt considéré comme trahissant son ministère. Il ne voulait donc pas discuter les avis de Decazes et pas davantage feindre de ne les avoir pas entendus, car il lui en eût trop coûté d’affliger « son fils. » C’est à cette occasion que, pour la première fois dans sa correspondance, on le voit ruser avec lui, se donner l’air de lui répondre, mais en réalité se dérober par une phraséologie qui semble dire beaucoup et ne dit rien. Du reste, le même trait se renouvellera souvent par la suite, en toutes les circonstances où Decazes, se souvenant qu’il a été ministre, parlera comme quand il l’était. Le roi, quelles que soient son affection et sa confiance, esquivera l’obligation de s’expliquer en termes nets et précis témoignant d’une conviction bien assise ou même de la volonté de la faire partager. A l’exposé qui vient de lui être tracé de ce qu’il devrait faire en Espagne, il réplique :

« Je vous l’ai dit, mon cher duc, à cent cinquante lieues on ne peut pas politiquer. Je ne raisonnerai donc pas avec vous sur l’Espagne. Mais je me permettrai de gémir sur ce qui s’y passe et de vous dire que je suis fort inquiet des suites. Mon inquiétude