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bien dit une cause ; mais, elle m’a fait encore plus de mal que l’effet. Je ne puis croire que mon père ait prononcé ces cruelles paroles. Tous les Pasquier du monde me le répéteraient que je ne le croirais pas. Mon père ne pouvait-il me dire : Je vais bien ou je vais mieux ? »

Ceci dit, il protestait de nouveau contre des attaques qui se renouvelaient sans que personne du gouvernement ni de l’entourage du roi prît sa défense. Il s’étonnait qu’on laissât exclusivement à des membres de l’opposition le soin de plaider en son nom :

« Si le ministère ne veut pas m’avouer, je n’irai pas en Angleterre. Je resterai en France et à Paris pour me faire voir en face à mes ennemis et savoir enfin ce que je dois attendre de leur perfidie et des protestations que j’avais reçues de la bouche de mon père. »

Il y avait beaucoup d’aigreur dans ces propos. Il est vrai que Decazes était alors très excité. Il venait d’apprendre que la loi des élections présentée aux Chambres et qui était son œuvre avait été modifiée dans ses parties essentielles, à la demande de la droite, de telle façon qu’il ne restait rien de son caractère libéral. On y avait notamment introduit le principe du double vote, tout au profit de la noblesse. Avec une véhémence qu’explique sa conviction, Decazes, mieux inspiré cette fois que lorsqu’il s’attardait à des plaintes et à des reproches, s’écriait :

« La nouvelle loi est une grande faute. Je ne voudrais pas pour tout mon sang l’avoir faite. La responsabilité m’en paraît effroyable comme le danger de dépouiller entièrement la propriété moyenne, car c’est la dépouiller que de ne lui laisser qu’une représentation tout à fait illusoire ; c’est blesser au cœur la grande masse de la nation, c’est enfin établir une véritable aristocratie sans aucune part au peuple ; c’est perdre tout le fruit des concessions faites jusqu’ici ; c’est avouer qu’on n’a pas confiance en la nation. »

Au reçu de cette lettre, le roi y répondit. De sa main gauche, toute tremblante, il traça quelques lignes qu’on peut à peine déchiffrer dans l’original que j’ai sous les yeux. On remarquera qu’il n’y faisait que la part du cœur. Fidèle à son système de correction parlementaire, il se taisait sur tout ce qui avait trait à la politique.

« Il manquait à mes peines, mon cher fils, d’être soupçonné de t’oublier. Je me croyais sûr que tu te disais : Mon père pense à