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en rêve. Est-il rien de plus suave, de plus grave aussi, que la flûte introduisant l’Orphée de Gluck dans les Champs Élysées ? Le grand musicien liturgique du Prophète a demandé certains effets religieux aux notes basses de la flûte. Ces mêmes notes, tenues, répandent un calme mystérieux sur certains paysages du Songe d’une nuit d’été. Dans un quintette célèbre, Mozart prête à la clarinette des accens vraiment divins. Weber dans le Freischütz, Meyerbeer dans Robert le Diable et dans les Huguenots, ont fait d’elle ce que Berlioz appelait très bien « un admirable soprano instrumental, » interprète élu, pathétique, mais pourtant chaste, de l’amour et de l’héroïsme féminin. Il n’est pas jusqu’aux « cuivres, » y compris les trombones, que le génie d’un Berlioz n’ait promus à d’augustes, à de sacrés offices. Lorsque Faust inquiet et las s’endort sur un lit de roses à la voix de Méphistophélès, les cuivres soutiennent de leurs moelleux accords la berceuse étrangement amie et paternelle. Des instrumens à vent, des auloi, calment aujourd’hui l’âme qu’ils auraient agitée violemment et presque enivrée autrefois. Ils disent, au lieu du trouble et de la violence des choses, leur bonté, leur paix infinie, et ne chantent tout bas autour de l’homme qui repose et qui rêve, que la douceur de sa couche, le calme de son sommeil et la beauté de ses songes.

Une évolution inverse a transformé l’éthos des instrumens à cordes. Dans l’antiquité, les doigts ou le plectre effleuraient seulement les cordes ; elles chantent aujourd’hui sous la pression de l’archet ; elles gémissent, elles crient sous sa morsure. Le « quatuor » est devenu l’interprète par excellence, non seulement de notre âme sereine, mais de notre âme orageuse et souffrante. Trivial ou sublime, le « trémolo » n’est qu’un effet d’instrumens à cordes. Violons, altos, violoncelles, contrebasses même, rien que pour résumer ce que peuvent, isolés ou nombreux, ces quatre instrumens, ce qu’ils peuvent par la lenteur ou la vitesse, par la fantaisie ou le style, la douceur ou la violence, il faudrait analyser des centaines de chefs-d’œuvre et reprendre en quelque sorte l’histoire de la musique entière. Au siècle dernier déjà, mais surtout en notre siècle, on peut dire des instrumens à cordes qu’ils ont été les grands tragiques. C’est eux, par exemple, qui font pathétique une page fameuse de Beethoven, que le rythme seul ferait calme : l’allegretto de la symphonie en la. Le rythme en est dactylique (une longue et deux brèves : — u u), et commence