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d’un autre côté, le mineur moderne n’a revêtu son caractère plaintif et pathétique, qu’en devenant partiellement chromatique. »

Et puis, et surtout, la question qui nous occupe en ce moment est beaucoup moins le caractère expressif des modes que leur existence même et leur variété. Ce que nous voulions rappeler seulement, à l’avantage et comme à l’honneur de l’antique mélodie, c’est que, grâce à la pluralité soit des genres, soit des modes, elle pouvait en quelque sorte se teindre de plus de couleurs ou parler plus de langues que la nôtre. Pour être spécial à la mélodie, ce surcroît d’expression et de beauté n’en profitait pas moins à la musique entière. Il représentait pour elle un trésor différent plutôt qu’inégal à celui qu’elle a conquis par le progrès moderne de la polyphonie et de l’instrumentation. Alors le génie de la musique était autre ; il n’était peut-être pas moindre. Tout ce que peut la mélodie, la mélodie le faisait alors. Depuis, nous avons répudié quelques-uns de ses dons ; nous ne la comprenons plus, nous ne l’aimons plus tout entière.


III

Hélas ! avec toutes ses vertus, cette mélodie a péri, et nous ne pouvons guère l’imaginer autrement que d’après ses restes, ou ses reliques. Plus heureux, et sauvé par la poésie, le second élément de la musique antique, le rythme, est parvenu jusqu’à nous. Je dis le second élément. Mais ne serait-ce pas le premier ? On peut douter si, dans la constitution, dans l’être même de la musique, et surtout de la musique grecque, la prédominance appartient au rythme ou à la mélodie. M. Gevaert incline à croire que « le rythme est un élément plus persistant dans les chants des divers peuples que les formes mélodiques, et qu’il pousse ses racines jusqu’au plus profond du sentiment national. » En tout cas, c’est par le rythme presque seul que nous jugeons de la musique antique. On rencontre plus d’une fois, dans l’ouvrage de M. Gevaert, l’étude exclusivement rythmique de certains fragmens, et cette connaissance exacte du rythme supplée si bien à l’ignorance du reste qu’elle finit par nous donner l’impression — ou l’illusion — d’une analyse complète, où rien de ce qui constitue la musique et rien de ce qu’elle exprime ne serait omis. M. Gevaert écrit quelque part des grandes compositions musicales