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dans lesquelles il va battre le pied de collines, formées de marnes rouges, que nous apercevons assez loin de nous au Nord-Est. Il revient ensuite vers le Sud-Est. L’entrée de cette plaine est gardée par un fort chinois en assez bon état, et qui contient la garnison la plus avancée vers l’Ouest qu’entretienne le Céleste Empire. Elle est commandée par un général de brigade, le général Kouan. Le fort, de forme carrée, est entièrement construit en pisé. Il est entouré de murailles crénelées, et son réduit central, également carré et crénelé, est surmonté d’une toiture pyramidale. Il se dresse dans la plaine, sur la rive droite du fleuve. Cet endroit s’appelle Ouloug-Tchat, mot que l’on peut traduire indifféremment par le Grand angle ou le Mauvais coin. Régulièrement, nous devrions rendre, une visite au commandant chinois et lui faire viser nos passeports. Mais je sais quel temps demanderont ces formalités. Il est trois heures de l’après-midi et je prévois que, si nous entamons des pourparlers de ce genre, qui, d’ailleurs, je le reconnais, seraient parfaitement légaux, nous ne pourrons pas aller plus loin et nous perdrons une étape. Et puis, pour tout dire, nous sommes encore trop près de la frontière et trop loin de Kachgar. Je préfère n’avoir à m’expliquer que dans cette dernière ville, auprès des autorités supérieures. Aussi je donne l’ordre d’obliquer brusquement à droite, à un kilomètre du poste. C’est une manœuvre audacieuse, car il ne passe pas beaucoup de monde par-là, et notre venue doit constituer un événement pour les habitans du fort. Certainement nous devons déjà être signalés et observés. Néanmoins, j’ai confiance dans la supériorité des jambes de nos chevaux sur celles des montures de la garnison, et dans la nonchalance des fonctionnaires chinois. Nous brûlons la politesse au général Kouan, et nous filons, avec toute la vitesse dont nous sommes capables, le long du versant Sud, de manière à rejoindre le fleuve un peu plus bas, sans nous préoccuper en aucune façon des signaux qui nous sont faits par les Chinois. A cinq kilomètres de là, nous retrouvons le fleuve, et il nous faut le traverser à gué pour passer sur sa rive gauche, car la rive droite, bordée d’une falaise, devient, à peu de distance devant nous, impraticable. Cette opération se fait sans grande difficulté, quoique le volume des eaux, grossies par de nouveaux affluons, soit considérable et le courant rapide. Nous en sommes quittes pour un bain à basse température, dont nous commençons à avoir l’habitude, et nous ne perdons rien. Il est vrai qu’en dehors de nos armes et de