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de déposer un simple caillou pour contribuer à l’architecture primitive de ce mausolée, mais ont apporté de loin une offrande plus rare et plus pesante. Le tout disparaît sous une invraisemblable quantité de petits chiffons multicolores, accrochés à toutes les parties de la construction, ainsi qu’aux branches d’un buisson voisin. Ce sont des lambeaux arrachés par des passans respectueux à la doublure de leurs vêtemens, tous plus crasseux les uns que les autres, en témoignage de leur dévotion.

Nous quittons le tombeau qui nous a abrités un instant, après que j’en ai relevé le plan ainsi que celui de ses abords. A l’intérieur se trouvent plusieurs chambres, qui ne contiennent rien de particulier, sauf le sarcophage du saint dans l’une d’elles. Mes hommes ont pieusement ajouté à l’édifice chacun une petite pierre ou un lambeau de khalat. Moi, je me suis borné à en emporter, comme souvenir, la plus grosse des paires de cornes d’Ovis qui en décoraient le sommet. Par un hasard singulier, au milieu des vicissitudes qui m’ont fait perdre en route tant d’objets plus précieux, elles sont revenues avec moi jusqu’en France, et cependant ce n’était pas une petite affaire que de les transporter pendant tant de milliers de kilomètres, car, bien que desséchées, elles pèsent encore actuellement à Paris, où elles sont, 42 kilogrammes, ce qui est un très honnête poids à porter sur la tête.

Ces montagnes dénudées, informes, sans grandes lignes et sans la moindre trace de végétation, ont un aspect vraiment lamentable. C’est une besogne aussi monotone que peu intéressante que d’escalader ces plissemens de terrain formés par des argiles, des gypses et des grès, dont la couleur varie du gris au rougeâtre, et qui se succèdent les uns aux autres dans un chaos désordonné et interminable. Après avoir dépassé le tombeau de Machrab, nous arrivons à une fortification abandonnée, qui défend un col dans une de ces crêtes. Ce rempart crénelé, construit en terre, est, ainsi que de nombreux ouvrages du même genre épars dans la même région, l’œuvre de Yakoub-Beg, cet aventurier de génie qui ressuscita naguère, pendant vingt ans, le royaume de Kachgarie. Préoccupé du danger qui pouvait venir pour lui du côté de l’Ouest et du Nord, il avait multiplié les défenses sur ces deux frontières de ses États, sans se méfier de l’invasion chinoise venant de l’Est, dont il se croyait sans doute suffisamment couvert par le désert de Gobi. Cette invasion, qui devait faire disparaître le royaume de Kachgar avec son fondateur, prit à revers toutes