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Que les lecteurs jugent de ce que serait le récit journalier d’une marche de 3 600 kilomètres, comme l’a été celle dont ils viennent d’entrevoir une partie. Aussi n’en raconterons-nous pas davantage.

J’avais à l’avance fondé un grand espoir sur Kachgar, au double point de vue pittoresque et archéologique. Et voici pourquoi.

Nous avons tous, tant que nous sommes, lu les Mille et une Nuits, sinon dans le texte arabe, ce qui est à la portée d’un petit nombre, ou dans la traduction complète, qui n’a été publiée que récemment et seulement pour l’usage de quelques lettrés, du moins dans la traduction, plus ou moins exacte, en français du XVIIIe siècle, que nous en a donnée le bon Galland. Je déclare les avoir savourées jadis, pour ma part, avec la plus grande attention et la foi la plus entière.

Chacun a pu remarquer que ces contes appartiennent à plusieurs cycles. Les uns sont de simples récits défaits comme il en peut advenir dans la vie ordinaire des Musulmans, et qui prennent place à une époque plus ou moins contemporaine de ceux qui les ont écrits. D’autres sont plus étonnans, d’autres enfin sont tout à fait merveilleux et féeriques. Les premiers, ceux qui ne sont que des récits d’aventures plus ou moins piquantes, se passent le plus souvent à Bagdad ou à Bassorah, c’est-à-dire dans le pays même des premiers auditeurs, et généralement sous le règne du grand khalife Haroun-al-Rachid. Ceux qui sont un peu plus extraordinaires et qui ont besoin d’un peu plus d’éloignement pour être admis comme possibles par les imaginations, même orientales, ont pour cadre la Perse, l’Inde ou d’autres pays analogues, limitrophes de l’empire des Khalifes, et leurs héros sont habituellement le sultan des Indes ou un prince de Perse. Mais ceux qui sont tout à fait prodigieux et invraisemblables sont placés plus loin encore, dans des pays d’un accès plus difficile, et le souverain qui préside aux destinées des personnages est presque toujours le sultan de Kachgar, que supplée quelquefois, mais à titre de simple doublure très effacée, l’empereur de la Chine.

Le motif de cette circonstance est bien clair : Kachgar a été, pendant tout le moyen âge, la capitale du plus oriental et du plus reculé des royaumes musulmans. C’était le point extrême atteint par la conquête islamique. Kachgar, c’était, pour les Arabes, la ville lointaine, reliée au reste de l’Islam par la