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aisément à des effets de fou rire. M. Georges Auriol se satisfait en contant des historiettes saugrenues et incongrues. C’est là tout un ordre de productions dont l’auteur se trouve suffisamment récompensé quand il a obtenu de son lecteur un : « C’est idiot ! » de satisfaction. — M. Alphonse Allais a la spécialité de la fantaisie scientifique. C’est lui qui propose de remplacer les pigeons par des poissons pour le transport des dépêches, et de constituer des régimens de culs-de-jatte. Il invente un nouveau fusil à aiguille dont l’aiguille enfilée d’un solide fil de trois kilomètres peut ficeler et empaqueter des régimens entiers. Il lance l’idée d’utiliser la Tour Eiffel, en l’enfonçant dans la terre et l’emplissant d’une eau qui, devenue ferrugineuse, rendra la vigueur aux Parisiens anémiés. Ailleurs nous le trouvons en train de causer familièrement avec le président Carnot, à qui il soumet un projet pour résoudre la question sociale : c’est d’organiser des tombolas annuelles où les conditions seront tirées au sort, en sorte que chacun parcourra successivement tous les degrés de l’échelle. — C’est sur la vie de caserne que s’exerce la verve copieuse, abondante et grasse, le comique haut en couleur de M. Courteline. L’odyssée drolatique de deux cavaliers, Laguillaumette et Croquebolle, qui s’en vont à Saint-Mihiel chercher des chevaux, négligent en route de changer de train, débarquent à Bar-le-Duc, errent toute la nuit sous la pluie et dans la boue, sont appréhendés par les gendarmes et s’échouent en prison, c’est tout le sujet du Train de 8 h. 47. Cette énorme caricature ne pouvait manquer d’avoir un grand succès dans un pays où tout le monde passe par le régiment. Proche parent des conteurs gaulois que les mésaventures amoureuses ont de tout temps mis en joie, M. Courteline a encore crayonné dans son Boubouroche un bon type de bêtise épanouie et heureuse. — M. Pierre Veber est surtout un satirique. Dans une foule de petites histoires, il a dit à ses contemporains le plus de choses désagréables qu’il lui a été possible, et dans son roman Chez les Snobs, il a justement raillé les plus récens engouemens qui ont sévi en littérature et dans l’ameublement. — M. Tristan Bernard aime à refléter dans des dialogues d’une exactitude minutieuse la platitude de la vie quotidienne. — M. Jules Renard se donne pour un « chasseur d’images ; » et le pêcheur, les vers luisans, l’herbe, les bœufs, les moineaux, l’affût et la vendange, les perdrix, les poules, les lapins, tous les êtres et toutes les choses de la nature lui servent de prétextes à des tableautins maniérés. Ce sont là, comme on voit, des dons fort divers. Et ces messieurs ne se rejoignent guère que par leur désir de substituer à la « vieille gaieté française » une autre forme de gaieté.