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Norvège et en Danemark. Le volume lui valut, entre autres complimens, ceux du philosophe William Godwin, qui déjà l’avait remarquée quatre ans auparavant : et bientôt une étroite intimité se forma entre eux, qui aboutit même, en 1797, à un mariage parfaitement régulier. Godwin avait cependant écrit, tout récemment encore, que « le mariage était la plus détestable de toutes les lois ; » mais Mary Wollstonecraft, toute révolutionnaire qu’elle fût, ne poussait pas aussi loin la haine des lois, et une expérience toute fraîche lui avait appris à mesurer l’importance de cette loi-là en particulier. Le philosophe athée et anarchiste se vit forcé de la conduire, un matin, devant le pasteur de l’église Saint-Pancrace, et de lui jurer, sur l’Évangile, une fidélité éternelle. Et bien qu’il ne fût point homme à garder sans peine un serment de ce genre, tout porte à croire qu’il n’eut pas le temps d’y manquer, car, sept mois plus tard, le 10 septembre 1797, Mary Wollstonecraft mourut, après avoir mis au monde une seconde fille, cette Mary Godwin qui devait un jour devenir la compagne du poète Shelley.

L’auteur de la Revendication des Droits de la Femme a-t-elle enfin trouvé le bonheur, dans ces quelques mois de sa vie de mariage ? Elle ne l’y a point trouvé, en tout cas, sous la forme romanesque et passionnée qui était la seule à la toucher vraiment. Son mari ne paraît guère lui avoir inspiré autre chose qu’une cordiale amitié, le seul sentiment que, d’ailleurs, il pût inspirer. C’était un froid et cynique égoïste, fort intelligent avec cela, et suffisamment honnête. Mais j’imagine que plus d’une fois, en écoutant ses paradoxes, Mary Wollstonecraft a dû regretter le capitaine Imlay, le bel Américain qui savait aimer. Godwin, lui, ne savait que raisonner, et pour démolir tout ce qu’il touchait. Son biographe nous raconte que, durant les derniers jours de l’agonie de sa femme, et comme celle-ci, un moment soulagée après d’atroces souffrances, tendait la main vers lui en lui disant : « Oh ! William, je suis au ciel ! », William, au lieu de prendre sa main, avait fait la grimace, et s’était borné à répondre : « Vous voulez dire, ma chère, que vos sensations physiques sont un peu moins pénibles ! » Ainsi mourut, à trente-huit ans, cette charmante jeune femme, qui avait passé toute sa vie à souffrir par la faute des hommes. Et nous savons, à coup sûr, que son mariage avec Godwin n’a point atténué l’ardeur de son féminisme ; car c’est durant les dernières semaines de sa vie qu’elle commença l’ouvrage qui, autant et plus que ses Revendications des Droits de la Femme, était destiné à contenir l’exposé de ses griefs contre l’homme : un roman, qu’elle avait intitulé Maria, ou le