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sol et du sous-sol à la fois sablonneux, siliceux, légèrement ferrugineux et calcaire, mais dépourvu d’argile, mélangé de ces petits cailloux dits de pierre à fusil qu’affectionne particulièrement la vigne, l’action d’un climat moyen un peu humide, toujours tempéré, peut-être aussi l’influence du vent marin de l’Ouest, la tradition de méthodes de culture scrupuleusement, on pourrait presque dire religieusement observées, la pratique séculaire de soins intelligens et continus, toutes ces causes réunies ont fait depuis plusieurs siècles du Médoc une terre de bénédiction. Tous ces vins qu’on décore du titre de « crus classés, » et qui sont en effet hiérarchisés suivant des règles, des épreuves et des décisions qui ont force de loi, ont appartenu ou appartiennent encore aux grands et aux heureux de ce monde, à de grands seigneurs de Cour, voire même à des rois, à des dignitaires de l’Église, à des princes de la finance. Ils ont tous ou presque tous leurs archives. Le Château-Margaux a été pendant longtemps à Edouard III d’Angleterre ; le Château-Latour est resté pendant trois siècles la propriété des Ségur ; le Château-Laffitte est entre les mains des Rothschild ; le Château-Beychevelle a appartenu jadis au grand amiral de France le duc d’Épernon, qui imposait à tous les navires entrant en Gironde de le saluer au passage en abaissant leur pavillon. Le Château Haut-Brion était particulièrement apprécié de Clément VI, qui le cite plusieurs fois avec complaisance en compagnie de ceux qu’il récoltait sur les côtes du Rhône, et l’un des premiers crus de Grave porte encore le nom de Château-du-Pape-Clément. Les petits ports échelonnés sur la Gironde étaient naturellement indiqués pour l’embarquement de ces riches produits ; ils ont eu en effet, pendant un certain temps, et continuent à avoir un certain mouvement d’exportation ; mais le chemin de fer du Médoc, qui dessert presque tous les bourgs importans des environs de Bordeaux, traverse toute la région des vignobles et se prolonge jusqu’à l’extrémité de la péninsule de Grave, leur a enlevé naturellement une assez grande partie de ce trafic.

Avant Beychevelle, qui est à une quarantaine de kilomètres de Bordeaux, trois ou quatre petits embarcadères en Gironde méritent à peine d’être notés ; ce sont de simples débouchés de canaux ou étiers dans le grand fleuve, qui ne font d’ailleurs que très peu d’expéditions locales. Le tonnage de Beychevelle est plus sérieux : 15 000 tonnes environ. Le port se compose d’une simple cale contre laquelle viennent ranger les embarcations fluviales.