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écossaise et d’appartenir à une famille originaire de l’Est américain. Il y a des héritages aristocratiques dont le plus enragé des radicaux ne réussit pas à se dessaisir, même quand il déclare la guerre aux privilèges. Cet ennemi des trusts et des monopoles est donc gentleman sur les points essentiels, et le cas n’en est que plus intéressant.

Il se vante d’être né dans un pays qui, vers l’année 1860, se soumettait à peine au joug de l’homme, la pittoresque vallée de la Crosse, Wisconsin. Ses parens étaient de ceux qui poussent instinctivement vers les solitudes vierges, à mesure qu’avance la civilisation trop prompte à les rattraper. Hamlin Garland avait sept ans, quand les siens gagnèrent avec lui une belle région forestière du comté de Winneshiek, Iowa. Ils n’y restèrent pas longtemps et allèrent se fixer plus loin dans la Prairie.

Le futur poète eut l’avantage de connaître ce qui bientôt n’existera plus, sauf dans ses vers, les admirables prairies conquises sur l’élan et sur le buffle. Pendant des siècles, elles avaient eu pour uniques possesseurs ces majestueux herbivores, et il suffisait de quelques ossemens rencontrés par hasard dans les champs pour faire travailler l’imagination du boy. De toute la force du premier amour, il aima cette Prairie aux longues vagues uniformes où des bouquets de peupliers et de noisetiers surgissent çà et là comme des îles sur l’océan, mer puissante en effet, d’un vert pommelé de nuages. Elle n’a rien de commun avec la Plaine, qui prend souvent le même nom. Celle-là, couverte d’une herbe sèche, courte et fine comme des cheveux, de couleur rousse presque toute l’année, Hamlin Garland l’a aimée aussi, et il la chante encore ; mais ses plus beaux accens sont pour les riches solitudes herbeuses, qui tendent à disparaître depuis que le soc de la charrue déchire et retourne la terre noire en y préparant des moissons. Lui-même aidait à diriger une de ces charrues qui brisent les myriades de petits soleils jaunes, si épais, si serrés, projetant comme des éclairs d’or sur l’immensité, où bientôt l’or du froment les remplace. Il a vu les premières étables retenir captifs des taureaux sauvages. Lancé au galop sur un poulain encore rebelle, il poursuivait avec son frère le renard et le loup de prairie, il cherchait la trace du massasauga, le serpent à sonnettes, qui, « là où vont paître les troupeaux, dresse une tête agressive et bien armée, aux yeux de haine, spirale de plomb qui s’enroule immobile et qui guetté… La mort guette avec lui… »