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M. de Besenval, sans se déconcerter, reprend la parole en allemand, sachant que le roi préfère cette langue et comptant l’engager dans une conversation… Silence… Encore une fois M. de Besenval élève la voix, il sollicite du roi une seconde audience, pour lui communiquer les conditions de paix que Louis XIV offre à ses ennemis… Silence… Le roi fait un mouvement pour se retirer. M. Hermelin glisse dans la main de M. de Besenval la traduction de sa harangue en suédois, parfaitement insignifiante d’ailleurs, et le comte Piper (l’autre ministre) l’emmène dîner chez la comtesse sa femme. »

Le dîner chez le ministre ne donna pas à M. de Besenval beaucoup plus de lumière. Le roi ne disait rien, le ministre parlait pour ne rien dire. Aussi M. de Besenval, en sortant, est bien près de se décourager et peu soucieux de tenter, par ce même mode, une nouvelle épreuve. « On dit, écrivait-il, qu’il reçoit de même tous les étrangers dans les audiences qu’il leur accorde, cela promet. Et pas de cour : on ne lui en fait ni aux heures de repas, ni ailleurs. Je chercherai une chaumière près de son quartier, je tâcherai de le surprendre dans ses promenades. Encore faudra-t-il qu’il le trouve bon, car bien souvent il ne veut pas être suivi de ses propres gens, et pour l’ordinaire, son train est d’aller le grand trot, à toute bride…

«… Que dites-vous d’un pays où l’on ne peut approcher du maître, et où le ministre garde un silence éternel ? »

De plus M. de Besenval ne fut pas longtemps à s’apercevoir que ses collègues l’avaient absolument mis en quarantaine. Pas un domestique ne voulait s’engager à son service. Il ne trouve, disait-il, que des canailles d’espions. Le gentilhomme qui l’avait amené était très mal vu pour le service qu’il lui avait rendu. On le traitait, dit-il, en excommunié. « N’importe, ajoute-t-il, je me consolerai volontiers de toutes les couleuvres qu’il me faudra avaler, si je suis assuré que mon maître soit content de ma conduite et peut-être, à force de cogner, quelque porte s’ouvrira. Vous ne sauriez croire combien je file doux : je suis plus souple qu’un gant. »

Ce fut à ce mélange de souplesse et de ténacité, qui était (comme M. Syveton le fait justement remarquer) le mérite original de M. de Besenval, que cet envoyé dut de gagner (insensiblement du terrain et de faire au moins accepter et durer une situation qui, au premier jour comme on le voit, était assez gauche. A force de cogner, comme il disait, il finit par se faire ouvrir une porte, non pas sans doute suffisante pour entrer lui-même, mais pour donner un jour qui éclaira la situation et lui permit de reconnaître quel était le véritable obstacle qui lui