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comme un gouvernement de vacances, et laissait dire qu’il s’en irait dès la rentrée du Parlement. Mais les choses n’ont pas tourné de cette façon. Si quelques-uns des ministres souhaitaient secrètement une dislocation qui les rendrait à leurs affinités naturelles, d’autres n’avaient d’autre préoccupation que de se maintenir le plus longtemps possible, et par tous les moyens. Mais que pouvait faire le Cabinet, car enfin il fallait bien avoir l’air de faire quelque chose ? A défaut d’une idée de génie, il a eu une idée ingénieuse : il s’est mis à crier au feu, et à inviter les bons citoyens à éteindre l’incendie. Il n’y en avait pas la moindre apparence, mais on a tout de même couru aux pompes, tant est grande chez nous l’influence des mots. Pour parler sans métaphore, le gouvernement a feint d’éprouver subitement les craintes les plus vives pour la république. Dieu sait qu’elle était aussi solide, sinon plus, qu’elle l’avait jamais été ! C’était se moquer du public que de parler du péril où elle était ; mais on peut, chez nous, se moquer assez longtemps du public avant qu’il s’en aperçoive ; et il suffit de faire sonner de vieux cris de guerre à ses oreilles pour lui faire croire aussitôt à la présence réelle du danger qui s’y rattache dans la confusion de ses souvenirs.

Il a donc été convenu qu’il y avait un besoin urgent de défendre nos institutions. Contre quoi et contre qui ? Contre le cléricalisme et contre les royalistes. L’historien qui écrira plus tard les annales de notre époque sourira de pitié en songeant à ce qu’il y a eu là d’audacieuse mystification. Mais c’est un côté de la question sur lequel nous n’insisterons pas aujourd’hui. Nous avons montré l’impossibilité pour le gouvernement de faire un programme quelconque ; il suffisait de jeter l’alarme sur la situation de la république pour supprimer du même coup la difficulté. Le procédé est d’une simplicité qui le met au niveau de toutes les intelligences, et il n’est pas besoin d’être M. Waldeck-Rousseau pour en user. Le premier venu en aurait fait autant. Il n’y avait rien à inventer, le passé fournissant avec abondance les modèles à suivre. Le ministre n’a pas hésité : il a découvert tout de suite un grand complot. Une fois le complot découvert, il a convoqué la Haute-Cour, et a condamné le Sénat, volens nolens, à l’œuvre violente et un peu ridicule à laquelle il s’escrime depuis la rentrée des Chambres. L’effet de terreur sur lequel le ministère comptait ne s’est pourtant pas produit. À mesure que le procès se déroulait au palais du Luxembourg, la curiosité d’abord et bientôt l’intérêt s’en détachaient. Eh quoi ! n’était-ce donc que cela ? L’opinion a été bientôt rassurée. Elle n’a même pas pris au sérieux ce qu’on avait voulu lui faire prendre