Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réduit à tolérer, ou bien craignait-il d’avoir à en rendre compte à un juge plus rigoureux dont il aurait à fléchir la sévérité ? On serait tenté de le penser quand on remarque que ce fut justement deux jours avant la dernière audience accordée au général Belliard qu’arrivait à Vienne un envoyé spécial de l’Empereur de Russie, qui apportait, de la part de son maître, l’expression énergique de sentimens absolument différens des idées conciliantes auxquelles avait donné ouvertement cours Pozzo di Borgo à Paris, et s’était rallié, avec plus de réserve, Nesselrode à Carlsbad. Effectivement (comme on le savait déjà par des correspondances et comme on l’apprit plus en détail par le récit de son envoyé), le jeune Empereur avait laissé éclater une violente irritation à la nouvelle, non pas tant de l’insurrection elle-même, — dont il trouvait la cause, sinon l’excuse, dans les fautes de Charles X, — que de l’acceptation de la couronne par le premier prince du sang. C’était à ses yeux une violation impardonnable du droit et de la foi jurée ; il ne consentirait jamais à s’y associer : ce serait, avait-il dit très haut, transiger avec mes principes et avec mon honneur. N’attendez jamais de moi rien de pareil, avait-il répété, à plusieurs reprises, au chargé d’affaires de France, le baron de Bourgoing, encore présent à sa cour, en appuyant sur le mot jamais avec une emphase affectée. Puis il ajoutait que le roi de France venait, dans ses derniers démêlés avec la Porte, de se conduire envers lui en bon et fidèle allié ; c’était moins que jamais le moment de l’abandonner.

Cet éclat tout à fait imprévu jetait son entourage officiel dans une surprise d’autant plus grande que personne ne pouvait s’en bien expliquer la cause. Rien dans le passé de l’Empereur et des siens ne motivait cet attachement intraitable au principe de la légitimité. De toutes les familles régnantes, celle des Romanow était assurément celle où l’ordre naturel de succession avait été sujet à plus de hasards, dont quelques-uns même avaient été trop heureux pour qu’on put en répudier le souvenir. Ce n’était assurément pas à un titre quelconque d’hérédité, légitime ou autre, que la grande Catherine, propre aïeule du Tsar, avait recueilli la succession de l’époux qu’elle avait fait ou laissé périr, et, dans les partages de 1815, son frère Alexandre était loin d’avoir été le plus chaud partisan des restitutions à faire aux princes que la révolution avait dépossédés. Enfin Nicolas lui-même n’était pas l’aîné de la race, et il n’était arrivé au trône que par le renoncement d’un