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sur le sol comme des couches sédimentaires. C’est bien une organisation qui marche.

C’est une méthode sans grands coups d’éclat, plutôt de cheminemens que d’assauts, qui n’aboutit qu’exceptionnellement à une « grosse affaire » ; aussi fut-elle à l’origine peu sympathique aux chercheurs d’aventures.

Déjà elle avait été présentée et défendue dans un rapport adressé en 1895 par le général commandant en chef le corps d’occupation au gouverneur général de l’Indo-Chine ; il convient ici de citer un passage de ce document :


… Je vous demande la permission de préciser cette méthode et de répondre une fois pour toutes à la plus spécieuse des objections qui lui sont couramment opposées et qui se formule ainsi :

Cette méthode donne des résultats illusoires parce qu’elle ne détruit pas les bandes, les refoule simplement à l’extérieur, d’où elles reviennent, à moins qu’elle ne les rejette dans les territoires voisins de ceux où elle est appliquée. L’œuvre est donc sans cesse à recommencer.

J’estime que ce raisonnement part d’une fausse appréciation des conditions de formation et d’établissement des bandes pirates.

En premier lieu, l’expérience du passé démontre qu’on arrive rarement, sinon jamais, à la destruction par la force d’une bande pirate. Dans la chasse à courre que représente la poursuite d’une bande déterminée, tous les avantages restent du côté de l’adversaire avec une évidence telle qu’il est superflu de la détailler ici ; et un résultat toujours partiel ne s’obtient qu’au prix de fatigues, de perles, de dépenses, qui ne sont certes pas compensées par le succès.

En second lieu, il ne faut pas perdre de vue que le « pirate » est, si je puis m’exprimer ainsi, « une plante qui ne pousse qu’en certains terrains », et que la méthode la plus sûre, c’est de lui rendre le terrain réfractaire.

Il n’y a pas de pirates dans les pays complètement organisés ; en revanche, il y en a, même en Europe, sous d’autres noms, dans les pays tels que la Turquie, la Grèce, l’Italie du Sud, qui n’offrent qu’une voirie incomplète, une organisation administrative rudimentaire, ou une population clairsemée. Si j’ose continuer ma comparaison, je dirai que, lorsqu’il s’agit de mettre en culture une partie d’un terrain envahi par les herbes sauvages, il ne suffit pas d’arracher celles-ci sous peine de recommencer le lendemain, mais qu’il faut, après y avoir passé la charrue, isoler le sol conquis, l’enclore, puis y semer le bon grain qui seul le rendra réfractaire à l’ivraie. De même de la terre livrée à la piraterie : l’occupation armée, avec ou sans combat, y passe le soc ; l’établissement d’une ceinture militaire l’enclôt et l’isole ; enfin la reconstitution de la population, son armement, l’installation des marchés et des cultures, le percement des routes, y sèment le bon grain et rendent la région conquise réfractaire au pirate, si même ce n’est ce dernier qui, transformé, coopère à cette évolution.