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est celle qui doit y séjourner, y habiter, le coloniser ; si son chef est celui qui doit le susciter, quelle différence ! Et nous aboutissons alors à cette formule qui, prenant une bien autre portée, ne s’applique plus seulement à des actions de détail, mais peut s’appliquer à toute guerre de conquête coloniale.

« Une expédition coloniale devrait toujours être dirigée par le chef désigné pour être le premier administrateur du pays après la conquête. »

Oh ! c’est qu’alors la route qu’on poursuit, le pays qu’on traverse vous apparaissent sous un tout autre angle !

Qu’on excuse un souvenir personnel. Dans une de mes premières expéditions, étant en bivouac sur la Rivière Claire, j’appris qu’un des jeunes officiers présens avait débuté sous l’un des chefs qui avaient laissé au Tonkin la trace la plus profonde, le colonel P…, et dans mon zèle de débutant je ne voulais pas laisser échapper cette occasion d’apprendre quelque chose sur l’œuvre de ce chef, l’un des maîtres de notre école. « Oh ! me fut-il répondu, le colonel P…, j’ai marché avec lui. Au combat, il se préoccupait bien moins de l’enlèvement du repaire que du marché qu’il y établirait le lendemain. » Sans le vouloir, ce jeune homme, qui croyait faire une critique, avait trouvé la formule de la guerre coloniale, car lorsqu’en prenant un repaire, on pense surtout au marché qu’on y établira le lendemain, on ne le prend pas de la même façon.

Et lorsqu’on conquiert avec cet état d’esprit, certains mots ne gardent plus exclusivement leur signification militaire :

La route, alors, n’est plus seulement la « ligne d’opérations, » la « route d’invasion, » mais la voie de pénétration commerciale de demain. Tel plateau, aux bonnes communications, aux abords faciles, ne vaut plus seulement comme position stratégique ou tactique, mais comme centre de relations économiques, comme emplacement d’un marché prochain, et tout s’y fait en conséquence. Telle riche plaine n’est plus seulement un point de ravitaillement militaire, mais un centre de ressources et de cultures à ménager, à gérer immédiatement en bon père de famille.

Et cela va du grand au petit.

Croit-on que lorsque chaque soldat sait que le village qu’il aborde sera celui qui va devenir sa garnison pendant des mois ou des années, il le brûle volontiers ? que ses rizières le nourriront, il les détruise ? que ses animaux seuls lui donneront sa viande,