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malheur de déplaire aux puissans du jour dans la personne de son chef et que, son chef disgracié, les convenances exigeaient qu’il partageai cette disgrâce. Je pense aussi que le Jupon moderne engendre des multitudes d’aspirans fonctionnaires, que les députés ministériels ne peuvent nommer tous leurs amis aux emplois du gouvernement et qu’il ne sied point à un pauvre diable sans protecteurs d’occuper trop longtemps une situation modeste, mais enviée. D’ailleurs Mikata revenait de plus loin que de Formose. D’une naissance obscure et d’une pauvre famille, ce jeune homme, grandi dans un vieux monde que l’invasion des idées européennes avait émancipé, buta de tous ses rêves et de tout son vouloir à connaître le merveilleux Occident. Et comme nous fûmes les premiers initiateurs du Japon, ce fut du côté de la France qu’il tourna sa proue.

Pour bien comprendre l’espèce de fièvre qui saisit tant de Japonais à l’ouverture de leur pays, représentez-vous un peuple de prisonniers naturellement curieux, dont l’imagination a été, durant cinquante ou soixante ans, tenue en haleine par de lointains échos d’Europe et surexcitée par des légendes chuchotées à voix basse. Ils ignorent qui nous sommes, mais l’ombre est plus troublante dès qu’il s’y mêle de sourdes lueurs. Notre fantôme danse devant eux exagéré, menaçant, barbare ou surhumain. Leur ignorance traversée d’éclairs leur crée des prestiges dont ils font honneur à notre magie. Soudainement, le voile d’ombre se déchire ; la route est libre vers les thaumaturges d’Occident qui opèrent en plein jour et enseignent leurs charmes. On pourra donc monter sur des bateaux, quitter les promontoires ensorcelés, courir dans la nouvelle écume des mers à ces fontaines de miracles. La Belle au bois dormant entend sonner les cors et s’éveille et ne veut pas qu’on la rendorme. Non, jamais les fantasmagories de l’Orient ni les trésors de l’Amérique ne nous parurent plus prodigieux ni plus désirables ; jamais les grands enfans de la Renaissance n’éprouvèrent de plus beaux vertiges devant la profondeur entr’ouverte des siècles écoulés. Mon Dieu, que les hommes gagnent à ne point se connaître ou à se perdre de vue ! De quels attraits surnaturels ils se décorent dans l’éloignement, et comme l’humanité se devient à soi-même une source de mystères et de superstitions ! Ainsi, tandis que l’Extrême-Orient attirait invinciblement nos songes et que, dégoûtée par instant de la banalité niveleuse des civilisations modernes, notre âme s’éprenait de ses arts