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bras s’acharnaient et d’estoc et de taille, à grands coups, sur ce même emplacement où, durant des siècles, leurs pères avaient mené cet héroïque tapage.


Les montagnes se noyaient d’ombre, quand nous touchâmes à l’hôtel. Un kuruma avait dételé devant la porte, et, dans la salle d’entrée, un soshi poudreux me tendit mon passeport. La vue de ce papier, ma sauvegarde, nous mit de belle humeur, et l’on dîna, parce qu’il est prudent de dîner avant de se rendre à un banquet japonais. Puis, suffisamment lestés de riz et de poisson, nous gagnâmes la grande salle où, au nom de ses amis, M. Kumé s’offrait un repas de cent couverts.

Cette salle, en forme de potence, dont les petites tables de laque noire, chargées d’écuelles et de pâtisseries coloriées, s’égrenaient et resplendissaient sur le chaume doré des tatamis, semblait, encore déserte, étaler dans un palais irréel une merveilleuse bombance pour tous les nains des contes de fées. Mais ce furent des paysans qui entrèrent, des paysans aux rudes visages et aux manières douces ; et, comme, à la saison printanière, les glycines déroulent leurs ondes de fleurs parmi les chênes et les pins de Nara, des geishas se répandirent au milieu de ces campagnards en sombres haoris. Tous les invités s’agenouillèrent en face de leurs tables, contre le mur, vis-à-vis les uns des autres, séparés par la largeur du passage. M. Kumé et son état-major prirent place à droite au fond de la salle, et les orateurs se levèrent.

Oh ! l’admirable usage de ne pas attendre pour exposer ses idées que leurs estomacs alourdis engourdissent les convives et de ne pas troubler par une pénible éloquence la béatitude qui suit les libations ! Et quelle heureuse contrainte ! Devant un public à jeun, la sobriété est plus qu’une vertu : c’est une bienséance. J’imagine que les Japonais ont adopté cette coutume afin de corriger la pente naturelle de leurs orateurs à l’abondante stérilité. Je crois aussi que ce peuple délicieusement naïf craint encore qu’au déclin des banquets, on ne sache plus tourner d’agréables mensonges.

M. Kumé commença. Il le fit court, et céda la parole au président du Comité, qui le fit bref. « Ce n’est rien, ce soir, me confia Mikata ; on se réserve pour demain à la grande réunion. » D’autres personnages prononcèrent quelques mots, Igarashi ne perdit point l’occasion de se prendre le cœur à deux mains et de le jeter