Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ses frêles doigts d’enfant me guidaient sous les arbres obscurs, et je l’entendis chantonner à mi-voix :

— Que chante-t-elle ? demandai-je à mon interprète.

— C’est une vieille poésie japonaise, me dit-il.

Elle chantait : « Au temps où les pruniers fleurissent, quand on passe, la nuit, sur le mont Kurabei, le parfum de leurs fleurs les décèle dans l’ombre. »


Cette nuit-là, Igarashi qui accompagnait son candidat donna du nez au beau milieu d’une mare ; et le bruit s’en répandit du haut en bas de l’hôtel, car il rentra en si piteux équipage que, n’eut été l’éternel éblouissement de sa figure, personne ne l’aurait reconnu. Il souriait cependant : c’était un homme habitué à payer de sa personne, et que ne démontaient point les accidens du monde. Et du doigt me montrant le ciel :

— Hé ! fit-il d’un air ravi, la neige va tomber !


Le lendemain, quand je me réveillai dans ma chambre haute, les montagnes, les bois, et les routes et la ville, tout était enseveli. Les pierres posées sur les toits les ornementaient de gros clous floconneux. Mes compagnons exultaient. La blancheur de ce lent déluge communiquait à leur âme une légère ivresse. Les Japonais adorent la neige, comme ils font de tout ce qui fuit et luit, insectes brillans, reflets de lune, fleurs éphémères. La poésie de la nature tient pour eux dans la douceur du moment. Plus la féerie est brève et plus le charme en persiste. Le jeune Takéuchi, Igarashi, les membres du comité, sauf Mikata que son séjour en Europe avait rendu frileux, et qui boudait aux enchantemens de l’hiver, décidèrent d’aller déjeuner dans un restaurant d’où l’on découvrirait la campagne.

Sitôt dit, sitôt fait. On nous conduisit à un pavillon d’une jolie maison de thé. Au pied du balcon, les arbres du jardin et les lanternes de pierre pressaient leurs blancs fantômes, et, jusqu’à la blanche montagne, sur la plaine ouatée, les champs de mûriers alignaient leurs arbrisseaux comme de fins balustres enveloppés de dentelles. Et les cerisiers du printemps céleste effeuillaient leurs corolles par toute l’étendue.

Il ne me souvient pas d’avoir jamais eu plus froid. Mes compagnons tiraient les shogis, et, joyeux, exposaient leur front nu à la glaciale incantation. Le jeune Takéuchi tendit