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on rencontre sous la première couche végétale un banc d’argile blanc ou jaunâtre qu’on appelle le « bri. » Or ce bri, qui a été incontestablement déposé par les eaux marines, se trouve aujourd’hui à plusieurs mètres au-dessus du niveau de l’Océan. On le distingue très nettement en certains endroits le long des falaises où il dessine une ligne d’une couleur un peu claire très caractéristique. Les marins et les gens du pays qui ont patiemment observé que cette ligne montait lentement disent d’une manière très pittoresque que « la banche pousse. » C’est le sol qui se soulève.

Il est donc incontestable qu’une grande partie de la côte s’est lentement exhaussée depuis le commencement de notre dernière époque géologique, et qu’elle a été autrefois et longtemps recouverte par les eaux marines. Nous l’avons déjà constaté pour la péninsule d’Arvert. Le phénomène est encore plus marqué pour la basse vallée de la Charente et pour toute la côte du Poitou.

L’ancienne Charente, le Carantonus ou Canentelus flumen des géographes classiques, débouchait autrefois dans un estuaire marécageux qu’on appelait la mer des Santons, Oceanus Santonicus[1], aujourd’hui sillonné par un réseau de canaux d’alimentation et d’assainissement, et découpé comme un damier en compartimens géométriques, marais salans, marais gâts, parcs à moules et à huîtres, réservoirs à poissons. La ville fortifiée du Brouage occupait, il y a trois siècles à peine, le fond de cette baie désormais comblée. Le travail de l’homme a favorisé celui de la nature et du temps. Une série de petites dunes a d’abord défendu la terre récemment formée contre l’envahissement de la mer. La végétation a fait son œuvre de son côté. Tout ce qui n’est pas devenu marais est devenu prairie ; et on peut très bien se rendre compte, par une exploration consciencieuse, que l’ancien golfe de la Charente s’enfonçait autrefois jusqu’aux abords de Saint-Agnant, aujourd’hui distant de la côte de près de 10 kilomètres.

  1. Κανεντέλου ποταμοῦ ἐκϐολαῖ. Ptol. II, VII, 2. Santonico refluus… ipse Carantonus aestu. Auson, Mosella, v. 463 Oceani littora Santonici. Tibul. I. VII, 10.