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ouvert, s’est écrié un député radical, vous n’auriez pas eu 200 voix ! » Et, le lendemain, les journaux radicaux et socialistes développaient le même thème. Ils criaient à la trahison et à « la lâcheté, » favorisées, disaient-ils, par le secret du scrutin. Ils assuraient que les mêmes hommes qui, dans l’ombre, avaient voté pour M. Deschanel contre M. Brisson reviendraient à une autre conduite, dès qu’ils devraient mettre ostensiblement leur nom à côté de leur vote. S’il en est ainsi, c’est alors qu’il faudra parler de lâcheté. La Chambre a fait connaître, le 9 janvier, ses sentimens sincères : si elle en manifeste d’autres demain, ils ne le seront plus. En parlant comme ils le font, les journaux radicaux et socialistes accusent d’avance la majorité qu’ils espèrent voir se reformer, et aussi, rétrospectivement, celle qui vient de se dissoudre. Laissons-leur la responsabilité d’un jugement aussi sévère et à quelques égards aussi méprisant pour les hommes qui ont marché avec eux jusqu’à ce jour. Le nôtre est beaucoup moins rigoureux : nous avons expliqué pourquoi la Chambre n’a pas cru devoir renverser plus tôt le Cabinet. Elle a eu tort sans doute, car, pendant les jours de grâce qu’elle lui a accordés, il a fait un mal profond et peut-être irréparable ; mais aujourd’hui elle s’est ressaisie. Les sentimens que révèle le scrutin du 9 janvier trouveront sans doute, un jour prochain, l’occasion et le moyen de se manifester par un vote décisif. L’élection de M. Deschanel est la condamnation du ministère : il aura de la peine à s’en relever.

S’il est vrai que la majorité, avant de reprendre la liberté de ses allures, ait voulu attendre la fin du procès de la Haute Cour, la manière dont il s’est terminé n’était assurément pas de nature à la disposer à la bienveillance à l’égard du gouvernement inventeur de ce procès. Était-ce la peine de mettre en mouvement une machine aussi importante et aussi imposante que la Haute Cour pour venir à bout d’une pareille conspiration et de pareils conspirateurs ? Mais nous avons déjà tout dit sur ce point et nous n’y reviendrons pas, sauf pour faire remarquer que l’événement nous a donné raison. Il n’y a eu que trois condamnations : une quatrième, prononcée par contumace, ne compte pour ainsi dire pas. Nous voilà bien loin de ce qu’on annonçait au début de la procédure, alors que la police était sur les dents, occupée à des investigations et à des perquisitions sans nombre, à Paris et en province, poursuivant les prétendus coupables, en manquant quelques-uns, mais en arrêtant soixante-dix, et même davantage ! Il fallait remonter très haut dans notre histoire pour retrouver une affaire où l’abondance des accusés fil croire à un aussi redoutable danger encouru.