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regardant ses jours s’enfuir et la mort s’approcher. Il ne l’attendrait pas ; l’ennui le chasserait prématurément de ce monde, tandis que l’appétit de ses multiples besoins l’y retient et l’amuse.


I

Or, rien n’amuse plus la moitié féminine de notre espèce que le soin de sa parure ; elle y consacre, dans les classes où elle a du loisir et quelque argent, une notable portion de son temps et de ses ressources. Même elle excède parfois celles-ci : de combien de ménages le bonheur n’a-t-il pas sombré dans des flots de dentelles ? Mais ces tentations de la vertu par la toilette sont de toutes les époques. Ce qui caractérise, au contraire, le costume contemporain, à commencer par le « chapitre des chapeaux, » c’est la quantité de menues satisfactions qui se trouvent mises, par l’ingéniosité moderne, à portée de la masse la moins fortunée.

Les 9 000 moteurs à vapeur, d’une puissance totale de 254 000 chevaux, employés par les manufactures françaises de vêtemens et de tissus, bien qu’ils représentent, en force, plus du cinquième de toute notre machinerie industrielle, — chemins de fer non compris, — ne peuvent donner aucune idée de la transformation accomplie dans ce domaine par les innombrables mécaniques qui, multipliant la force par l’adresse, nous ont dotés d’un chiffre inouï de « bras » artificiels : aiguilles, ciseaux ou navettes, esclaves dociles, muets et sobres, progéniture immense d’un peuple que l’on accuse de ne plus engendrer assez d’enfans.

Le même habillement, que les Français de 1900 paient annuellement deux milliards, coûterait sans doute le triple avec les procédés usités il y un siècle ; et, comme la nation serait incapable de se livrer à une dépense aussi forte, chacun devrait se contenter de trois fois moins de vêtemens, de linge ou de chaussures qu’il n’en consomme aujourd’hui. Du moins parmi les classes populaires et dans la petite bourgeoisie, dont le luxe relatif date d’hier ; car, pour les riches, l’élégance n’a pas sensiblement augmenté. En fait de costume masculin, elle a même diminué ; l’uniformité démocratique de la mise a déchargé les seigneurs du XIXe siècle d’une somptuosité jadis obligatoire. Tout ce qu’un « pluri-millionnaire » d’à présent peut mettre de plus cossu sur sa tête consiste en un chapeau de soie de 25 francs. Au moyen âge, un « chapeau de bièvre, » brodé d’or ou de satin, valait une