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d’électeurs détermine parfois le renversement du ministère. Même sous le régime proportionnel, il y aura toujours des électeurs flottans, et on ne voit point pourquoi il ne se produirait pas, d’une élection à l’autre, des modifications d’opinion suffisantes pour amener des transferts de sièges. La grande différence entre les deux régimes, c’est que, avec la représentation proportionnelle, les fluctuations des partis dans le parlement se modèleront sur les variations du corps électoral, au lieu d’être déterminées par le hasard de la répartition des électeurs ou par les soubresauts de l’opinion dans quelques circonscriptions douteuses. On peut même prétendre que ces variations seront plus fréquentes, quand l’électeur, qui réprouve parfois les exagérations de son parti, mais qui recule devant l’alternative de porter son suffrage aux candidats d’un autre parti également extrême, trouvera l’occasion de se rattacher à quelque nuance intermédiaire, dégagée par la représentation proportionnelle. Qu’importe que les changemens de l’orientation politique soient plus rares et plus lents, s’ils sont plus consistans et plus justifiés ? Ce sera l’évolution substituée à la révolution dans le domaine électoral.

Le péril n’est pas de ce côté. Il est plutôt dans les inconvéniens que peut engendrer le manque de majorité dans les Chambres, chaque fois qu’il n’y en aura point dans le corps électoral. Remarquons, toutefois, que cette difficulté peut se rencontrer sous le régime majoritaire, lorsqu’il n’y a pas de partis bien définis ou qu’il y en a plus de deux parmi les électeurs. En faire un grief à la représentation proportionnelle, c’est reprocher au baromètre le temps qu’il fait. On peut soutenir, à la vérité, que le but des institutions parlementaires, ce n’est pas d’obtenir l’image fidèle du corps électoral, mais de fournir un gouvernement fort. Dans ce cas, qu’on s’attaque franchement au principe de l’élection, ou du moins qu’on aille jusqu’au bout, pour réclamer la constitution d’un collège unique fonctionnant avec le régime majoritaire ! C’est le seul moyen d’obtenir à tout prix la majorité et même l’unanimité dans la représentation nationale. Bien que cette solution existe pour le recrutement des administrations locales dans plusieurs pays, — où, du reste, elle constitue un régime électoral exposé aux plus graves objections, — il n’y a personne qui oserait sérieusement en réclamer l’extension aux élections législatives ; car ce serait supprimer tout contrôle du pouvoir et bientôt jeter les minorités exaspérées dans les voies révolutionnaires.