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étrangères, élu président selon l’usage, venait de lire un discours apologétique de la conduite de la Porte, et M. de Chaudordy lui avait remis, au nom de ses collègues, les divers mémoires rédigés dans les réunions préliminaires pour la réorganisation de la Bosnie-Herzégovine et de la Bulgarie ; la discussion allait commencer, lorsque nous entendîmes des salves d’artillerie tirées de l’autre côté du golfe, à Stamboul, sur la place du Séraskierat. Safvet-Pacha, se levant alors de l’air le plus solennel : « Ces salves, dit-il, annoncent la promulgation de la constitution que le Sultan octroie à son empire. Cet acte change une forme de gouvernement qui a duré six cents ans et inaugure une ère nouvelle pour la prospérité des peuples ottomans. » Pendant quelques instans, les plénipotentiaires, non pas surpris, — car ils s’attendaient à un incident, — mais très mécontens de cette manifestation théâtrale, évidemment destinée à les éblouir et à disloquer leur plan de campagne, gardèrent un profond silence. Puis, sans aucun compliment, et comme si rien ne s’était passé, ils présentèrent diverses considérations générales sur l’objet de leur réunion, qui était la sauvegarde de la paix. On se sépara ensuite froidement, tandis que Carathéodori-Effendi et moi préparions le court protocole de la séance.

Au dehors, des manifestations populaires, les unes musulmanes, les autres chrétiennes, acclamaient la constitution dans les rues de Galata et de Péra, redoublant d’enthousiasme en passant devant les ambassades. Comme partout, les meneurs exagérèrent, je crois, la pensée du gouvernement, car de nombreux groupes, composés surtout de softas, donnèrent à ces promenades tumultueuses une signification hostile à la Conférence en proférant le cri de : « Vive la guerre ! » La partie était donc engagée : les plénipotentiaires avaient déposé les mémorandums qui résumaient la pensée de l’Europe ; la Porte avait promulgué sa constitution, qui était la négation du programme étranger et l’affirmation de sa politique particulière. En droit comme en fait, ces déclarations étaient inconciliables, et chacun des deux adversaires venait de se placer sur un terrain où l’autre ne pouvait le suivre : la Porte s’était déclarée absolument indépendante en modifiant seule ses institutions intérieures ; les plénipotentiaires considéraient avec raison leurs propositions comme « l’œuvre commune de la grande Europe. » Le général Ignatiew avait même ajouté cette parole, qui n’avait été atténuée par aucun de ses collègues :