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intrinsèques. « Dégorgeables » les bas se décolorent aux lavages et salissent le pied : d’où l’habitude qui n’est pas encore tout à fait disparue, de faire en blanc la « semelle » du bas.

L’industrie de la bonneterie de soie se pratique à domicile, en famille : le père est bonnetier comme l’a été l’aïeul et comme le sera le fils. Nos braves gens sont glorieux d’exercer leur profession qui, par le fait, exige un long apprentissage et n’est pas accessible au premier venu. Leur outil, le métier à bas, qui n’a subi, depuis de longues générations, que des modifications ou perfectionnemens de détails, est souvent le même que celui ayant servi aux ancêtres de l’ouvrier. Quelquefois, les petites transformations du mécanisme résultent de son expérience ou de celle de ses voisins, car, à Ganges, tous les faiseurs, même peu instruits, deviennent bientôt mécaniciens par instinct, savent réparer les mille petits accidens de leur machine et les prévenir. D’ailleurs les métiers à bas sont toujours confectionnés par des spécialistes du pays, dont plusieurs font breveter leurs inventions[1].

De même, tel ouvrier « jouriste » illettré, qui cherche à varier les dessins découpés dans les mailles soyeuses de son tissu, déploie beaucoup d’ingéniosité et de savoir-faire. Nous avons vu, chez des travailleurs, des croquis déjà anciens, destinés à servir de modèles pour les bas à jour ayant paré nos aïeules dans leurs soirs de grande toilette, qui témoignent d’un goût remarquable et d’une extraordinaire facilité d’invention. Et cela, bien entendu, sans que l’homme eût appris à manier un crayon[2].

Quoique, à la rigueur, l’ancien métier puisse être conduit par une femme, l’épouse et les filles de l’ouvrier s’occupent plutôt à coudre et à broder. Suivant le docteur Villermé, de l’Académie des Sciences morales et politiques, qui a dressé en 1836 un tableau de l’état moral et physique des ouvriers employés dans les manufactures de coton, laine et soie, les ouvriers de soie du bas Languedoc et ceux de Nîmes sont « intelligens, laborieux, nullement ivrognes. » En revanche Villermé les trouve « peu instruits,

  1. Le métier neuf coûte 600 francs. Aussi fait-il partie du patrimoine familial, comme une maisonnette ou un petit champ.
  2. Dans la Statistique de l’Hérault, de Creuzé de Lessert (1825), il est dit que Ganges excelle surtout dans la fabrication des « bas à dentelles pour femmes. » Or ces articles étaient très demandés par les élégantes de la Restauration, qui, ne les portant qu’en soirée, recherchaient avant tout la richesse et la délicatesse du travail, au rebours des dames du XVIIIe siècle, qui usaient dans leur intérieur de bas plus chauds et plus solides.