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médiocrement armé, a une supériorité évidente sur un navire armé, installé et servi dans les conditions normales. Seul un monitor, ne ressemblant en rien aux cuirassés de la flotte anglaise, pourrait passer, sans éprouver des avaries graves, sous le feu de la plus médiocre de nos batteries de côte. L’attaque d’une batterie de côte passablement servie, par un navire, est en dehors de toute conception militaire méritant examen. Contre des batteries à fort relief, adossées à des terrains rocheux et qui les dominent, le feu d’un navire peut avoir une efficacité réelle, et cependant, vu la disproportion des risques à courir et des probabilités de toucher, il faudrait avoir de bonnes raisons pour exposer un navire à vider ses soutes et à être mis hors de combat par le tir d’une batterie dont le plus grand mal se réduirait au bouleversement de ses épaulemens, à la mort de quelques hommes, à la mise hors de service d’une ou deux bouches à feu. Que l’on compare les surfaces à battre utilement d’un navire et d’une batterie de côte, les conséquences des avaries à prévoir dans les deux cas, et on reconnaîtra que la situation de l’élément flottant sous le feu de la batterie n’est pas tenable. Il y a dix mille à parier contre un en faveur de la batterie. L’opinion publique a été tellement faussée à ce sujet, on nous a tellement menacés des effets fantastiques et terrifians à attendre d’un bombardement exécuté par la flotte anglaise, que nous croyons devoir ajouter à tout ce que nous venons de dire des témoignages empruntés aux écrivains militaires anglais[1] :

« Pour atteindre le résultat désirable, c’est-à-dire pour réduire la batterie de côte au silence, il faut une grande supériorité de feu, ce qui signifie qu’il faut non pas tirer beaucoup, mais envoyer de nombreux projectiles sur un but. Or les forts côtiers, tels qu’ils sont construits actuellement, offrent, du côté de la mer, des buts extrêmement difficiles à distinguer et fort restreints. Une batterie en terre, par exemple, ne présente pas plus de 2 pieds d’élévation au-dessus du terrain environnant, et même moins encore si elle est cuirassée. L’objectif étant de dimensions restreintes et le tir manquant de justesse, il faut naturellement compter sur un assez faible pour cent de coups au but. Il en résulte que la flotte devra disposer d’un nombre de bouches à feu très supérieur à celui de la défense pour espérer le succès. Autrefois, on demandait que, toutes choses égales d’ailleurs,

  1. Revue Militaire de l’Étranger, n° 809, avril 1895). Attaque des fortifications côtières par les navires, d’après les écrivains militaires anglais.