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à grouper et à réunir les foyers populaires et à les rendre plus forts pour résister aux accidens de la vie et aux tentatives d’oppression des puissans de la terre, guerriers, politiciens ou capitalistes. Les corporations avaient réalisé cette merveille. Réunissant par un lien d’affection fraternelle maîtres et ouvriers, patrons et apprentis, elles avaient fait de chaque corps de métier ou de négoce une famille ayant son patrimoine, ses écoles, ses hospices et sa caisse de secours, ses fêtes et ses banquets. Au lieu de la concurrence au profit des moins honnêtes et des plus rusés, une règle appliquée sous la surveillance de syndics librement élus assurait au public de bonnes marchandises et de bonnes mesures, et réprimait la fraude sous toutes ses formes. Les heures de travail et les salaires étaient fixés d’un commun accord, garantissant à l’ouvrier le gain et le repos nécessaires. Les représentans des corporations avaient leur place honorée dans les conseils de la commune et de l’Etat. C’étaient autant de petites républiques se gouvernant elles-mêmes et participant à la direction des affaires du pays. L’amour fraternel, l’esprit de corps et le sentiment de l’honneur étaient les ressorts cachés de leur vie et de leurs prospérité. »

Le peuple n’a jamais oublié que, dans le passé, le groupement professionnel avait pu lui assurer : 1° une part légitime d’influence dans les questions de salaire et de travail qui l’intéressent si directement ; 2° une garantie efficace contre tous les aléas de l’existence : chômages, accidens, maladie, concurrence intérieure ou extérieure ; 3° la jouissance d’un patrimoine collectif, c’est-à-dire la seule forme de propriété à laquelle puisse jamais prétendre la grande majorité des travailleurs. La corporation lui donnait la sécurité du lendemain, sauvegardait sa dignité, lui assurait une représentation efficace de ses vrais intérêts : par elle il avait place dans l’Etat et dans la commune, et sa tâche quotidienne, si humble et si pénible qu’elle fût, devenait, à ses yeux, l’accomplissement d’une fonction sociale.

Les constitutions nouvelles ayant pour fondement le principe de la souveraineté du peuple et le suffrage universel n’ont pas su donner aux ouvriers l’équivalent du régime corporatif. Aussi le peuple a-t-il constamment protesté contre la législation qui a prévalu au début du siècle et qui, sous prétexte d’assurer la liberté du travail, supprimait le groupement professionnel. Partout, en Angleterre, en France, en Allemagne, la résistance s’est manifestée avec une telle énergie que les gouvernemens ont dû