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fut le précurseur, avait étudié les questions sociales, et poursuivait un plan bien arrête d’organisation du travail dans les sociétés chrétiennes. À deux reprises, l’opposition du Centre fit échouer les projets de lois sociales présentés par le gouvernement et il fallut arriver à un compromis, qui consacra le triomphe de la politique traditionnelle.

La législation reconnaît l’indépendance financière des corporations, leur autonomie et la suppression de la caisse d’État, mais le gouvernement a renfermé dans d’étroites limites les droits des corporations reconstituées. Il s’est appliqué à en faire des associations mutuellistes incomparables, mettant à profit toutes les découvertes de la science et de l’expérience, mais il a voulu limiter leur intervention au seul point de vue économique. Tandis que les trade-unions anglaises ont pour principale mission de discuter et de fixer contradictoirement par l’accord des maîtres et des ouvriers le taux des salaires et les conditions du travail, la loi allemande ne donne aux ouvriers que le droit de présenter des observations sur les tarifs élaborés et votés par les patrons. En échange d’une grande sécurité pour l’avenir et de bienfaits très sensibles dans le présent, le législateur allemand supprime le droit des travailleurs de discuter librement les conditions du contrat de louage d’ouvrage. L’organisation corporative allemande est donc forcément incomplète, et, quels que soient les avantages qu’elle assure aux travailleurs, elle ne saurait leur donner satisfaction.

« L’homme ne vit pas seulement de pain, » a dit l’Écriture, et cette parole s’applique à la législation allemande. Elle va au-devant de toutes les misères et cherche à porter remède à tous les accidens qui peuvent compromettre l’avenir de l’ouvrier et la vie de sa famille. Mais elle laisse l’ouvrier comme en tutelle et le place désarmé devant le capital décuplé par l’association. Le bien-être matériel est admirablement assuré, mais la dignité humaine ne reçoit aucune satisfaction, et les bienfaits mêmes de la loi paraissent à un grand nombre autant de liens qui enchaînent la liberté. Un des théoriciens de l’école sociale catholique, le Père Pesch, a précisé ce point avec une saisissante énergie : « La solution chrétienne de la question sociale ne se trouve pas dans l’accentuation des devoirs de charité : les sacrifices que l’on peut faire en faveur des travailleurs ne suffisent pas non plus à écarter les difficultés sociales. La question sociale moderne est avant tout