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indigne d’occuper une grande place dans la tragédie, ainsi qu’il l’a écrit plus tard : « Sa dignité, — il parle de la tragédie, — demande quelque grand intérêt d’Etat ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour, telles que sont l’ambition ou la vengeance, et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d’une maîtresse. Il est à propos d’y mêler l’amour, parce qu’il a toujours beaucoup d’agrément, et peut servir de fondement à ces (intérêts et à ces autres passions dont je parle ; mais il faut qu’il se contente du second rang dans le poème, et leur laisse le premier[1]. » Il lui rogna en effet sa part, et de plus en plus. « L’amour triomphait dans le Cid, dit encore M. Jules Lemaitre ; il luttait dans Horace ; il était vaincu dans Polyeucte, mais non sans résistance. A partir de Pompée (et, auparavant, dans Cinna), il ne résiste plus guère, tout en parlant beaucoup. Presque plus une femme qui mérite ce nom. Des femmes d’une virilité démesurée :

Un peu de dureté sied bien aux grandes âmes.

« Ce ne sera plus qu’ambition emphatique, orgueil du sang, soif du pouvoir, fureur de vengeance. Plus d’amour-passion, partant plus d’obstacles aux passions « mâles… » Presque tous les personnages… seront des monstres de volonté… »

Ces « monstres » ont reparu, sous un autre nom, dans la littérature de notre siècle. Le culte de la volonté, inauguré par Corneille, a été relevé tout récemment par Nietzsche, dont le fameux « surhomme » a de grands airs de famille avec les héros cornéliens. « La vie, a dit Nietzsche, est ce qui doit toujours se dépasser soi-même. » Les personnages de Corneille tendent tous les ressorts de leur volonté pour arriver à « se dépasser » eux-mêmes, et, le jour où cela devient impossible, ils font bon marché d’une vie désormais sans objet. Horace veut mourir, au cinquième acte, parce qu’il craint, après ce qu’il a fait, de devoir renoncer à « se dépasser. »

Votre Majesté, Sire, a vu mes trois combats :
Il est bien malaisé qu’un pareil les seconde,
Qu’une autre occasion à celle-ci réponde,
Et que tout mon courage, après de si grands coups,
Parvienne à des succès qui n’aillent au-dessous ;
  1. Premier discours sur le poème dramatique.