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N’ayant pu enlever la mère. M. le Comte se proposait d’enlever la fille : « Il avait envoyé M. le comte de Fiesque à Monsieur, poursuit Mademoiselle, pour le faire souvenir de la promesse qu’il lui avait faite à mon égard, et que la chose était en état de se pouvoir terminer : il le suppliait très humblement de trouver bon qu’il m’enlevât, comme le seul moyen par lequel ce mariage pouvait s’exécuter. Monsieur ne voulut point consentir à cet expédient, de sorte que la réponse que porta M. le comte de Fiesque toucha sensiblement M. le Comte. » Ce dernier fut tué peu après à la Mariée (6 juillet 1641), et Mademoiselle comprit qu’ils n’étaient « pas nés l’un pour l’autre. Je ne laissai pas de bien pleurer sa mort ; et, quand j’allai voir madame sa mère à Bagnolet, M. et Mlle de Longueville et toute la maison ne firent que témoigner leur douleur par leurs cris continuels. » Mademoiselle avait eu réellement envie de devenir comtesse de Soissons, sans qu’on puisse deviner ce qui la tentait, sinon qu’à son âge, on se fait des romans de tout.

M. le Comte pleuré et enterré, le sentiment n’eut plus absolument rien à voir dans les rêves d’établissement de Mademoiselle. Sa pensée planait sur l’Europe et fondait sur les princes non mariés ou veufs, ou ayant des chances de devenir veufs ; on la vit suivre la maladie d’une princesse et abandonner ou reprendre ses projets selon les nouvelles. La plupart de ceux sur qui elle jeta successivement son dévolu ne l’avaient jamais vue ; plusieurs ne pensèrent jamais à elle. Mademoiselle allait son train, inaccessible au découragement, permettant, quand elle ne les provoquait pas, des démarches indiscrètes et se voyant déjà Impératrice, ou bien reine de France, d’Espagne ou de Hongrie.


La Grande Mademoiselle n’était pas impunément la fille d’un dégénéré ; il y avait des sujets sur lesquels elle déraisonnait. Elle dépassait Corneille, son professeur d’orgueil et de volonté, pour la foi aux vertus mystiques du sang ; elle en était arrivée à soutenir qu’on doit envisager les desseins des princes dans le même esprit que les mystères de la religion. « Il faut, disait-elle, que les intentions des grands soient comme les mystères de la Foi. Il n’appartient pas aux hommes d’y pénétrer ; on doit les révérer, et croire qu’elles ne sont jamais que pour le bien et le salut de la