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de commander les armées, comme il m’en avait témoigné le dessein, et que la paresse y était du tout contraire. — Il m’a répondu brusquement qu’il n’avait jamais eu cette pensée et n’y avait pas prétendu. — Je lui ai répondu que si, et n’ai pas voulu enfoncer ce discours. Vous savez bien ce qui en est. — J’ai repris ensuite le discours sur la paresse, lui disant que ce vice rendait un homme incapable de toutes bonnes choses, et qu’il n’était bon qu’à ceux du Marais, où il avait été nourri, qui étaient du tout adonnés à leurs plaisirs, et que, s’il voulait continuer cette vie, il fallait qu’il y retournât. — Il m’a répondu arrogamment qu’il était tout prêt. — Je lui ai répondu : Si je n’étais plus sage que vous, je sais bien ce que j’aurais à répondre là-dessus. — Ensuite de cela je lui ai dit que, m’ayant les obligations qu’il m’a, il ne devait pas me parler de la façon. — Il m’a répondu son discours ordinaire, qu’il n’avait que faire de mon bien, qu’il s’en passerait fort, et serait aussi content d’être Cinq-Mars que M. le Grand, et que, pour changer de façon et de vivre, il ne le pouvait. — Et ensuite est venu, toujours me picotant et moi lui, jusque dans la cour du château, où je lui ai dit qu’étant en l’humeur où il était, il me ferait plaisir de ne me point voir. — Il m’a témoigné qu’il le ferait volontiers. Je ne l’ai pas vu depuis. Tout ce que dessus a été en la présence de Gordes. — Signé Louis. » En post-scriptum : « J’ai montré à Gordes ce mémoire avant que de vous l’envoyer, qui m’a dit n’avoir rien lu que de véritable. »

Cinq-Mars boudait, le roi boudait, ils étaient plusieurs jours sans se parler, Richelieu se dérangeait pour venir mettre la paix dans ce « ménage d’amis, » et Louis XIII, tout à la joie, ne savait rien refuser à son favori, lequel en abusait de son mieux. Le marquis d’Effiat voulait être duc et pair, épouser une princesse, assister au conseil du roi, commander les armées ; mais il trouvait alors le cardinal en travers de sa route. Richelieu le remettait rudement à sa place. Il le « gourmandait comme un valet, le traitant de petit insolent, et le menaçant de le mettre plus bas qu’il ne l’avait élevé[1]. » Au cours d’une de ces semonces, il lui apprit qu’il l’avait mis auprès de Louis XIII pour être son espion, et le somma de s’acquitter de ses fonctions. L’humiliation causée à Cinq-Mars par une semblable révélation contribua plus que tout à en faire un conspirateur. Il en conçut une haine farouche contre le cardinal.

  1. Montglat, Mémoires.