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Et les amans tresser leurs doigts sous les tilleuls,
Et les femmes filer encore, et les aïeuls
Rêver dans l’ombre au son d’une tardive enclume,
Et me dressant enfin sur un tertre d’où l’œil,
Caressé par le vent nocturne, avec orgueil
Embrasse l’horizon déjà noyé de brume
Et le fleuve qui luit d’un éclat morne et froid
Et la ville assoupie et muette, et le toit
Où ma lampe au moment des étoiles s’allume,
Ivre de larmes, seul, à la chute du jour,
D’un cri désespéré j’appellerai l’amour.


V


La douce nuit d’hiver a l’odeur du printemps.
J’ai pour rêver ouvert ma fenêtre. J’entends
Le vent qui semble fuir sur un voile de soie.
Les pins murmurent, l’air embaume, un chien aboie.
Le silence est une urne où tombe chaque bruit.
Et mon cœur sans amour se gonfle, ô tendre nuit !
Je les bénis, ceux-là qui dans cette même heure
Ont poussé les volets chantans de leur demeure,
Et respirent l’espace et regardent le ciel
Et goûtent à s’aimer un moment éternel.
Leur âme en se mêlant aux étoiles s’enivre :
« Ah ! disent-ils, qu’il est, cette nuit, bon de vivre !… »
Et le vent caressant traverse leurs cheveux.



Sainte mélancolie heureuse où l’on est deux,
Où la vierge sur qui l’amant en pleurs s’appuie
Succombe comme un lys accablé par la pluie !
Je me souviens de vous ce soir amèrement,
De vous, et d’un grand rêve et du pieux serment
Que des lèvres scellaient sur ma bouche tremblante.
L’heure en nous effleurant passait comme une eau lente,