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chambre, tout ce dont j’ai besoin, et davantage encore, je tiens pour simplement juste et naturel d’essayer de vous rendre service, de la même façon que je vous offrirais une tasse de thé, si je vous voyais souffrant de la soif, et si j’avais ma théière pleine.

Je ne veux pourtant pas vous faire aucune offre avant que vous m’ayez dit quels sont vos désirs, et quelle est au juste votre situation. En d’autres termes, je voudrais savoir si un arrangement vous obligeant à peindre pour moi d’une façon régulière, en échange d’une certaine somme, si un tel arrangement vous mettrait plus à l’aise : et, en attendant, j’espère que cette lettre vous mettra plus à l’aise et que vous me croirez toujours votre bien affectueux

J. RUSKIN.


Voilà une belle lettre, et qui n’est certes pas d’un simple « amateur. » Elle est pourtant d’un homme le moins fait du monde pour pouvoir être compris et aimé de Rossetti : d’un homme qui non seulement a des idées générales, une « théorie de la vie, » mais qui éprouve en outre un besoin irrésistible d’intervenir dans les affaires de ceux qu’il protège, de « mettre leur vie en ordre, » de diriger leur travail et leurs amusemens. C’est le même homme qui, dès le mois suivant, écrit à miss Siddal : « Une chose est bien certaine : jamais Rossetti ne sera heureux, ni vraiment créateur, aussi longtemps qu’il ne se sera pas débarrassé de son habitude de ne rien faire que ce qui l’intéresse : et, vous aussi, je veux que vous fassiez effort sur vous, je veux que vous lisiez les livres que je vais vous envoyer ! »

Vient ensuite une lettre qui, du moins je l’espère, est bien de l’ « amateur : » car, si elle était du critique ou même de l’ami, elle dénoterait chez lui une singulière inintelligence de la vie réelle. Au mois d’octobre 1855, miss Siddal, toujours très souffrante, se mit en route pour Nice, en compagnie d’une parente de Rossetti : Ruskin, très généreusement, lui avait promis de subvenir aux frais du voyage, en échange de la promesse que lui avait faite la jeune femme de travailler pour lui dès qu’elle pourrait travailler. Mais les deux voyageuses s’étaient arrêtées à Paris, sur la route de Nice ; et bientôt tout leur argent avait été dépensé. Vers le même temps, Ruskin avait écrit à Rossetti pour lui demander si, à ses frais, il ne consentirait pas à venir avec lui dans le pays de Galles pour y dessiner un ruisseau coulant entre des roches : Rossetti, franchement, avait répondu qu’il préférerait aller voir miss Siddal, malade à Paris, et que, si vraiment Ruskin était « en fonds » (suivant l’expression de Ruskin dans sa lettre) il l’obligerait fort en lui prêtant quelque argent. Et voici la réponse de Ruskin :