Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il fallut, pour distraire son chagrin, toute la variété des spectacles que ces premiers jours de voyage lui présentèrent. Elle vit l’entrée dans les places fortes, au bruit du canon, avec les clefs des portes présentées sur des bassins fleuris ; les rues des petites villes transformées en portiques de verdure ; les bons bourgeois sous les armes l’acclamant au passage ; la parade des régimens des garnisons, à la tête desquels le duc d’Orléans allait se mettre pour saluer Sa Majesté de l’épée ; les exercices militaires qu’exécutaient dans les champs les housards de M. de Berchény. Ce furent enfin, chaque journée, les naïves imaginations des paysans d’Alsace et de Lorraine, qui plantaient des branches vertes le long de la route pendant des lieues, ou qui venaient, bannière en tête et chantant des cantiques, réciter des prières pour la Reine et s’agenouiller devant elle.

Le seul spectacle de son cortège pouvait être un amusement pour la jeune femme, aux tournans des routes montagneuses. Une sorte d’avant-garde était formée par les carrosses et les fourgons du duc d’Orléans, qui allait en tête avec le duc d’Antin, afin de recevoir Sa Majesté partout où elle devait s’arrêter. En avant du carrosse royal roulaient ceux de la Faculté et du duc de Noailles, suivis des pages du roi à cheval. Aux portières de la Reine étaient les quatre exempts des gardes et, derrière, la chevauchée brillante des uniformes bleus galonnés d’argent. Venaient ensuite les carrosses de la cour et du service, et l’interminable file des chariots et des équipages. L’énorme cortège occupait plus d’une lieue de route. La marche en était retardée par sa longueur même et aussi par le mauvais temps qui durait sans interruption depuis près de trois mois et avait défoncé tous les chemins. Le désastre des récoltes et la misère qui en résultait pour le paysan assombrissaient le voyage de Marie, car elle n’était point assez légère pour n’y pas arrêter sa pensée ; mais les braves gens qui l’allaient voir passer, et qui partout recevaient d’elle de larges aumônes, la saluaient comme une fée bienfaisante et ne doutaient pas que la venue de la reine de France ne marquât la fin de leurs maux.

L’arrivée à Metz, qui devait avoir lieu de jour, ne put se faire qu’aux flambeaux, mais elle ne manqua pas de beauté. Il y avait plus de dix mille étrangers. La Reine fit une entrée solennelle à huit heures du soir, escortée du beau régiment d’Orléans-Cavalerie, dont le duc d’Orléans était colonel. La pluie avait cessé