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Sans aller plus loin pour le moment, constatons que mémoires, comédies historiques, succès de Tolstoï, succès de M. Fogazzaro, succès de quelques romans historiques récens, indiquent très manifestement une tendance nouvelle. Et maintenant, comment, dans l’état actuel des esprits, dans les conditions actuelles du goût, le roman historique peut-il réussir ?


II

C’est un genre faux. On le dit, et je ne songe guère à dire autrement. C’est un genre faux. Il mêle la vérité à la fiction dans des proportions qui n’ont rien et qui ne peuvent rien avoir de déterminé et avec une sorte de duplicité continuelle fort inquiétante, le lecteur ne pouvant jamais savoir où la vérité finit et où la fiction commence et n’étant jamais prévenu du passage de l’une à l’autre. C’est un genre faux. D’accord ; mais est-il plus faux qu’un autre ? Il n’est guère de genre littéraire qui ne soit faux et, partout sans doute où vous admettez l’imagination, c’est le mélange du faux et du vrai que vous admettez, et par conséquent, à la constitution d’un genre faux que vous donnez les mains.

Le roman historique est-il beaucoup plus faux que le roman d’observation ? Mais vraiment non ; car ce que l’observation est dans le roman d’observation, l’histoire l’est dans le roman historique, et si, dans le roman d’observation, à l’observation vous ajoutez, pour l’étendre, pour l’agrandir, pour la circonstancier, pour la vivifier et lui donner cou leur et relief, quantité de choses qui viennent de vous et qui sont ou induction, ou déduction, ou généralisation, ou intuition, ou pures et simples imaginations, il faut bien le dire, imaginations logiques, sans doute imaginations d’esprit juste, mais enfin imaginations ; de même, dans le roman historique, l’étude historique est le fond, c’est le document, c’est la partie du labeur patient et appliqué et froid, comme l’observation tout à l’heure, et à cela s’ajoute le jeu de l’imagination créatrice qui invente, qui brode, qui peint et qui, tout à fait comme tout à l’heure, doit inventer dans un esprit conforme à la vérité que le travail documentaire a fait trouver.

Après tout, le roman historique, c’est l’épopée, et le roman historique, c’est la tragédie ; et je ne contesterai point du tout si l’on m’assure qu’épopée et tragédie ; sont genres faux ; seulement