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vanité et l’orgueil soient éternels, une manière sensiblement différente d’être orgueilleux et d’être vains, et vous pouvez poursuivre et compléter ; voilà ce qui est mœurs, et voilà ce que nous voulons que le roman historique nous donne, du moment qu’il est historique et du moment surtout que par l’intervention de sa « couleur locale » il se targue devant nous de l’être, se pique d’authenticité et étale son authenticité et nous invite formellement à l’exiger de lui et à la contrôler en experts.

C’est à quoi le roman historique doit bien songer s’il veut éviter et l’infortune de la tragédie du XVIIIe siècle et l’infortune aussi de la tragédie du XIXe siècle, c’est-à-dire du drame romantique. Celle-là a échoué, relativement, pour n’avoir été drame historique d’aucune façon et n’avoir connu ni les mœurs, ni même la couleur historique. Celui-ci a échoué, relativement lui aussi, pour avoir cru que la couleur historique suffisait, ajoutée à la vieille tragédie voltairienne, pour la rajeunir et la revivifier. C’était une demi-erreur. C’était assez vrai pour provoquer et même pour mériter un succès de quelque temps. C’était assez erroné, c’était assez insuffisant comme réforme pour que le succès ait été tout à fait éphémère et pour que, signe vrai d’insuccès réel et confusion des réformateurs, le drame romantique ne parût, au bout de trente ou quarante ans, différer de la tragédie voltairienne que par le style, alors qu’il en différait très bien par autre chose ; mais cette autre chose était de trop peu de fond et comme de trop peu de réalité.

Cette leçon doit servir à nos modernes romanciers historiques. Qu’ils connaissent les passions éternelles de l’humanité et qu’ils sachent en démêler les ressorts et les faire jouer, qu’ils soient des Racine, rien de mieux au monde ; mais alors, encore qu’on leur permît fort bien d’écrire des romans historiques, on n’en verrait par très bien la raison ; on n’y verrait guère que je ne sais quel détour inutile et je ne sais quelle coquetterie superflue ; et on leur dirait : « Faites plutôt une Madame Bovary. »

Qu’ils soient experts en couleur locale et fins archéologues comme un Walter Scott, voilà déjà qui est plus pertinent à leur dessein et voilà ce qu’ils ne doivent nullement négliger ; mais ce qu’ils doivent considérer comme secondaire encore, accessoire, et simple ornement très utile.

Qu’enfin ils étudient les mœurs des anciens hommes ; voilà le très difficile et voilà le principal. Ces mœurs, au sens complet